Une journée dans la peau d’un étudiant japonais

Que fait un japonais à l’université ? En examinant le passé et le futur de l’étudiant japonais lambda, on pourrait être tenté de répondre : il travaille. Mais est-il aussi sérieux que l’on a tendance à le croire ? Pour le vérifier il faudra entrer, le temps d’une journée, dans la vie d’un étudiant japonais.

Des ‘‘ Stupeurs et tremblements ‘‘…
Côté passé, les écoliers japonais vont à l’école, comme leurs condisciples étrangers, mais en plus des heures règlementaires, ils passent une partie appréciable de leurs soirées à étudier dans des cours du soir. Et ce dès l’école primaire afin d’intégrer le meilleur collège, le meilleur lycée, la meilleure université et finalement, dans la continuité de cette « carrière des honneurs », la meilleure entreprise. Ce qui nous amène au futur de l’étudiant : devenu salary-man, notre ex-étudiant prendra les transports en commun tous les matins, arrivera tôt à son bureau et n’en repartira que tard le soir, en compagnie de ses collègues avec qui il ira prendre un verre avant de rentrer chez lui, bien après que ses enfants se seront couchés. Bien sûr il ne prendra pas la moitié de ses congés, de peur de déplaire à son supérieur.

… à l’oisiveté étudiante
Revenons à notre étudiant !
Il travaille direz-vous. Eh bien non. Après une enfance passée à étudier et avant une vie de dur labeur, le temps de l’université est réservé à la détente. Les japonais profitent de cette pause de quelques années pour n’assister que très modérément aux cours, faire partie d’associations étudiantes et faire la fête le soir. D’abord les études : les cours en amphithéâtre, non obligatoires, sont fréquemment désertés et ceux qui y assistent bénéficient d’un étrange privilège. Ils peuvent s’ils le désirent dormir en classe. On considère au Japon qu’il est plus utile de s’assoupir quelques minutes que de mobiliser toutes ses facultés pour rester éveillé. Mais l’essentiel de la vie étudiante se situe au-delà des salles de classes. La vie associative est particulièrement développée dans les universités japonaises et rares sont les étudiants qui ne sont pas membres d’au moins un club. Du cercle des décorateurs de sapins de Noël à l’orchestre jazz de l’école, en passant par l’équipe d’athlétisme et celle de chearleaders masculine, les associations sont légions. Il y règne une structure sociale qui reflète l’organisation de la société japonaise : les plus anciens ou « senpai » conseillent et forment leurs cadets ou « kohai ». Ce sont aussi eux qui généralement les initient à la bière à l’occasion des sorties dans les bars.

Du baito au 1er emploi
En plus de leurs obligations universitaires, la plupart des étudiants japonais ont un « baito » : ils travaillent à mi-temps dans des superettes, des restaurants ou agitent des feux pour éloigner les automobilistes des travaux la nuit. Les recettes de ces petits jobs, qui approchent souvent les mille euros par mois, financent soirées à boire, karaokés et autres game center. Pour ceux qui sont dans leurs dernières années d’études, ces activités sont remplacées par la recherche d’un emploi. Les étudiants vont alors d’entretien en entretien. Curieusement, ils ne postulent pas à un poste mais à une entreprise, les étudiants issus des universités les plus prestigieuses entrant généralement dans les entreprises les mieux cotées. Leur salaire et la nature de leur emploi ne leur seront révélés qu’à leur entrée dans l’entreprise.

Des nuits à l’étroit
Quand il rentre chez lui le soir, l’étudiant japonais est donc très fatigué. C’est tant mieux car ainsi il n’a pas le temps de se lamenter sur le peu de mètres carrés qui composent son espace vital, vu le prix des loyers à Tokyo. Certains étudiants ont même recours à un type de logement particulier : dans des résidences assez vétustes on peut louer à proximité des universités de toutes petites chambres, de quelques tatamis et souvent pas parfaitement isolées pour moins de 200 euros par mois, une broutille à Tokyo. Leur particularité est qu’elles ne disposent pas de salle de bain ! Leurs occupants doivent se rendre quotidiennement aux bains publics du quartier pour leur toilette. C’est dans cet endroit inattendu, immergé dans de grands bassins parmi des japonais du même sexe qui évoluent nus dans l’atmosphère embuée de la salle, dans un antique établissement au coeur des gratte-ciels de Tokyo que l’étudiant peut éprouver, le temps d’un bain, la sérénité japonaise.

Anne-France Mattlet, pour Junior Consulting Sciences Po