Trois coups secs se détachent du fracas des sabots sur la lice, les cibles volent en éclats, lambeaux de papiers emportés dans le tourbillon du galop. L’air tremble encore des vibrations de la corde, zébré par l’éclair des flèches, que déjà cavalier, les traits figés par la concentration non retombée, et monture, l’écume aux lèvres et l’œil plein de lumière, s’acheminent au pas vers le lieu de rassemblement pour entrer à nouveau en lice d’ici peu et renouveler l’exploit, le tir parfait du centaure. Pour quelques fugaces instants encore, la nature reprend ses droits, le silence et la quiétude enveloppent le sanctuaire assoupi sous le soleil de l’été japonais.
On recherche un peu de fraîcheur en longeant les berges de la Kamogawa où se baignent hérons au plumage d’argent et autres échassiers à la blancheur excessive, presque hivernale, d’autant plus rafraîchissante sous l’azur lourd et profond du ciel. Bientôt apparaissent les grands Tori oranges signalant l’entrée du temple shintoïste de Shimogamo, dont les arbres centenaires découpent en fins arabesques d’ombre et de lumière les allées de gravier impeccablement ratissées. L’atmosphère des temples nippons procure sérénité et plénitude et elles ne sont jamais usées en vain, ces heures passées assis en tailleur sur le bois poli des auvents séculaires, lorsque seule le délicat clapotis de la pluie vient accompagner la contemplation du jardin.
Aujourd’hui pourtant, le temple avait pris un visage tout à fait inattendu. Un magnifique cheval noir saluait le visiteur comme le pèlerin de son jovial hennissement. Ce petit destrier de race locale, descendant lointain des chevaux des steppes du Grand Khan, portait sur son dos un non moins élégant archer, à la tenue à la fois riche et bariolée d´un samouraï du XIIIe siècle. Très vite d’autres apparaissent et s’élancent sur la piste. Point de tournoi ou de combat aux sabres, non, c’est à l’arc que s’affrontent nos cavaliers, rivalisant d’adresse et de maîtrise dans cette discipline d’une extraordinaire complexité, presque inconnue en occident, le Yabusame.
Rares sont ceux qui hors du Japon ont entendus parler du Kyudo, l’archerie traditionnelle, mais plus rares encore sont ceux qui connaissent le tir à cheval. Le Yabusame, plus qu’un simple art martial, est un rituel quasiment religieux, intimement associé à différentes fêtes traditionnelles comme le festival de printemps de Kyoto (Aoi Matsuri). Tout au long de l’année les cavaliers s’y préparent et s’entraînent, souvent dans les enceintes sacrées des temples. À les regarder pratiquer, on ne peut qu’être subjugué par leur maîtrise et on a peine à imaginer la manière dont ils résolvent une telle équation.
La monte tout d’abord
Parés de lourds et volumineux kimonos anciens ils se hissent en un éclair sur la selle japonaise, simple arçon de bois d’où pendent, au bout d’étrivières en tresses de coton colorées, des étriers en fonte ou en bois laqué en forme de chaussons ouverts. Cette même tresse formant rênes relie le cavalier à la bouche de sa monture, alliance presque inutile qui ne sert qu’à manoeuvrer avant de s’élancer sur une piste d’une centaine de mètres, au galop de charge.
Moiteur et rayons de feu, un après-midi de septembre a Kyoto
Le tir ensuite
L’arc japonais est l’un des plus grands mais aussi des plus élégants du monde. Asymétrique, il est juste assez ramassé dans sa partie basse pour passer rapidement d’un côté ou de l’autre de la monture tandis que sa partie haute s’élance vers le ciel. Dardant de longues flèches de bambou richement ornées de plumes d’aigles, il ne se manie qu’avec un gant spécial en cuir de daim, d’origine mongole, tant la tension de la corde est extrême. Ayant encoché la première des flèches alors qu’il était encore immobile, le cavalier entre en lice et lance sa monture qu’il ne contrôle plus que par son assiette. Portant ses bras hauts, il bande de toute l’extension de ses membres l’arc de plus de deux mètres de long et abat la première cible le long de la lice dans un cri rauque. Il lui faudra renouveler son tir par deux fois encore, en une poignée de secondes, l’obligeant à se déporter tantôt à droite, tantôt à gauche, et à extraire du carquois de sa selle deux nouvelles flèches en gardant son allure. Un miracle d’archerie et d’art équestre qu’on ne peut découvrir qu’au pays du soleil levant !
Xavier Orthlieb pour ESSECavaliers
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