RMS : le neuro-marketing, nouvel eldorado de la recherche en marketing ou dérive manipulatoire ?

 

Qu’est-ce que le neuro-marketing ?
Un des objectifs du marketing est de collecter,traiter et analyser les données d’un marché afin de faciliter la prise de décision pour une entreprise et son offre1. Or, les progrès de la médecine et des neurosciences permettent aujourd’hui d’intégrer dans le domaine de l’analyse de la consommation les réactions physiologiques d’un individu (flux sanguin, sudation, rythme cardiaque, etc.), ses réactions kinésiques (mouvement du corps, des yeux, etc.) ou encore les activations cérébrales. Le neuromarketing donne alors la possibilité de clarifier visuellement la manière dont le cerveau « décide » un comportement, par exemple face à une marque, un produit nouveau ou une publicité.
Pour cela, les entreprises peuvent mobiliser quatre techniques d’imagerie médicale2 :
• l’électro-encéphalographie (EEG) qui mesure l’activité électrique des neurones et bénéficie du meilleur rapport qualité/prix mais reste techniquement contraignante,
• la magnétoencéphalographie (MEG) qui mesure les champs magnétiques induits par l’activité électrique des neurones pour un coût très élevé,
• la tomographie par émission de positrons (PET) qui révèle l’activité du cerveau par la désintégration d’un produit radioactif injecté au préalable,
• l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (fMRI) qui mesure les minimes variations hémodynamiques induites par la stimulation cérébrale.
L’exemple le plus connu de neuromarketing est celui de Read Montague, neurologue qui a montré en 2003 que la préférence entre Coca-Cola et Pepsi-Cola n’était pas significative quand le test était réalisé sans les marques. Ainsi, la zone cérébrale « du plaisir » s’active lors du test en aveugle alors que celle de la « mémoire » devient prépondérante avec la marque. Coca-Cola est alors significativement préféré à Pepsi-Cola3.

 

Une technique à maîtriser… et encadrer
Le neuromarketing permet de mieux déchiffrer le rôle des émotions ou de l’empathie, difficilement étudiables par les méthodes classiques, ainsi que la manière dont le consommateur comprend un stimulus marketing et le mémorise4. Mais la question majeure se situe au niveau de la mise en oeuvre des modalités d’étude sur un plan technique mais aussi législatif et éthique. Les protocoles de recherche sont en effet plus longs et difficiles à organiser et reposent sur un faible nombre d’interviewés, compte tenu du coût d’utilisation des machines. Les résultats constatés doivent alors être probants pour être extrapolés. La surinterprétation des images constitue donc un risque fort. Sur un plan éthique, le consentement éclairé des sujets étudiés doit être orchestré, ainsi que la présence de médecins formés pour superviser les protocoles. Enfin, un cadre législatif s’avère déterminant pour les modalités d’intervention (thématiques politiques, de santé publique, ou échantillon de populations fragiles, etc.). La face cachée du neuromarketing se situe dans sa capacité réelle (ou perçue) à manipuler les individus. Dans ce cas, l’éthique des personnes utilisant ces neuro-données restent un enjeu majeur pour le futur. Entre poule aux oeufs d’or pour les instituts d’études, nouveau filtre magique décryptant la boîte noire d’un consommateur complexe et outil de manipulation décrié, les chemins du neuromarketing sont tortueux. Les Grandes Ecoles et Universités doivent continuer à se familiariser à la pensée neuroscientifique en l’intégrant dans leurs cours et en procédant à des analyses in-vivo grâce à l’acquisition d’outils dédiés. Elles devront aussi réfléchir aux garde-fous indispensables à un développement harmonieux de cette discipline.

 

(1) Goudey A. et Bonnin G. (2010), Marketing pour Ingénieurs, Dunod, Paris
(2) Plassmann H., Ambler T., Braeutigam S. Et Kenning P. (2007), What can advertisers learn from neuroscience?, International Journal of Advertising, 26, 2, 151-175
(3) Mc Clure S. M., Li J., Tomlin D., Cypert K.S., Montague L. M. et Montague P. R. (2004), Neural Correlates of Behavioral Preference for Culturally Familiar Drinks, Neuron, 44, 2, 39-387
(4) Droulers, O., Roullet, B , (2010), Le neuromarketing , Le marketing revisité par la neuroscience, éditions Dunod.

 

Par Anne-Sophie Binninger Professeur, Responsable du département Marketing à Reims Management School, Chercheur-Associé au LIPSOR (Cnam Paris) Reims Management School
et Alain Goudey Professeur de Marketing à Reims Management School, Chercheur Associé à DRMERMES (Paris-Dauphine), Directeur Associé AtooMedia Reims Management School

 

 

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