Le Grand Entretien
Entretien avec Guillaume Bordry, directeur de l’IUT Paris Descartes et président de l’association des directeurs d’IUT (ADIUT).
Les IUT proposent des formations à la pédagogie unique. Elles sont professionnalisantes, fondées sur la technologie, des passeports pour l’emploi ; et même exportées comme des outils de cohésion sociale formant les cadres intermédiaires dont la société et l’économie ont besoin.
Quel est le point commun entre les IUT ?
C’est leur approche pédagogique, leur manière de transmettre aux étudiants, d’envisager leurs compétences, de les accompagner dans la construction de leurs parcours et projets, leur donner une approche commune de l’entreprise. Quel que soit le DUT et sa discipline, il est structuré par une pédagogie nationale. Il est conçu de manière à :
– faire progresser l’étudiant
– le doter d’un bagage théorique pluridisciplinaire
– le faire travailler en projet en équipe
– le doter d’une approche par la technologie et par l’outil
– lui permettre de confronter son savoir théorique à la réalité
– de réaliser un stage en 2e année.
Que vous inspire la réforme de la licence dans une logique disciplinaire ?
Je crois à l’inverse que le pluridisciplinaire a du sens tout comme la conception de la pédagogie par la technologie… Le système de licence actuel ne fonctionne pas ! Le réorganiser par discipline n’aura aucun effet sur la professionnalisation. Si l’on veut professionnaliser, car c’est le rôle de l’enseignement supérieur, il ne faut pas saper nos IUT, l’une des rares filières professionnalisantes de l’université. La réforme va simplifier les intitulés de licence pro, ce qui est positif pour les rendre plus lisibles. Mais il ne faut pas perdre le caractère de diplôme terminal.
Existe-t-il des formations similaires aux DUT dans d’autres pays ?
Il y a des systèmes équivalents en Europe qui exportent ce modèle. Il existe une forte demande de formations de cadres intermédiaires dans les pays faisant une distinction entre une élite très diplômée et des classes populaires nombreuses et où il manque cet échelon intermédiaire comme le Mexique, le Maroc, la Thaïlande, le Brésil. Lorsque la ministre de l’Enseignement supérieur voyage, elle convie un représentant des IUT.
Comment les formations de Bac +2/3 contribuent-elles à la cohésion sociale ?
Les BTS, DUT et Licences Pro forment des cadres intermédiaires. Ils sont aussi de formidables tremplins vers les études longues. Dans les deux cas, leur rôle en matière de cohésion sociale est clé. Le développement actuel des concours d’admission sur titre vers les grandes écoles après un DUT les ouvre à plus de diversité sociale. Souvent, nos étudiants ne connaissent pas cette possibilité avant d’arriver chez nous ou ne l’avaient pas envisagée. Ils envisagent d’abord, et c’est positif, le principe de sécurisation des parcours en intégrant un Bac +2 diplômant et menant à l’emploi. Certains construisant avec nous le projet d’études longues.
Que font les étudiants après avoir reçu leur diplôme de DUT ?
Je crois qu’une distinction est de plus en plus pertinente. Elle consiste à les diviser en deux catégories à parts égales : ceux qui souhaitent entrer sur le marché du travail et ceux qui souhaitent poursuivre leurs études. En rassemblant les diplômes de DUT et ceux ayant poursuivi en licence pro dans une visée d’entrée dans la vie active, on atteint 50 % de nos diplômés. Parmi ceux-ci 20 % sont en emploi et les autres en Licence Pro, dont beaucoup en alternance. Ils se forgent donc aussi une expérience. Ceux qui poursuivent pour préparer une Bac +5, l’autre moitié, avec l’objectif de faire des études longues. Ces taux me font dire que clairement les IUT remplissent leur mission d’insertion professionnelle. Car je ne connais aucune +2/3 qui conduise à un taux d’insertion de 50 % ! En outre, 80 % des diplômes de licence pro sont opérés par des IUT : 415 sur les 500 existantes.
Quelles sont les filières de DUT prisées des étudiants ?
Ils sont les plus nombreux en gestion, techniques commerciales, juridique, informatique et communication, génie civil. Globalement, le tertiaire les attire, les étudiants s’y projettent bien, imaginent bien ce qu’ils pourront y faire.
Et côté recrutement, y a-t-il des disparités par rapport à ces choix d’orientation ?
Pas du tout. Les attentes des recruteurs concernent toutes nos spécialités. Dans certains secteurs les entreprises manquent de candidats : industrie, logistique, maintenance, qualité, génie thermique, des domaines qui » parlent » moins aux jeunes. Ils ont une perception biaisée de ce que sont ces métiers. Il faut donc les valoriser auprès des lycéens.
Chiffres clés
113 IUT
145 000 étudiants en DUT, 40 000 diplômés/an % en recherche d’emploi et 50 % poursuivent leurs études (enquête 2012-2013)
Ceux qui cherchent un emploi après leur DUT le trouvent en moins de 6 mois Portail des IUT www.iut-fr.net
Quelles sont les relations des IUT avec les entreprises ?
Le président des conseils des IUT est toujours un professionnel. Le réseau des IUT est à ce titre double : les directeurs d’IUT et les présidents de conseil. Nous recommandons que les départements des IUT soient connectés aux entreprises, filières professionnelles, employeurs et employés. Chaque établissement a ensuite sa politique.
Les rêves de Guillaume Bordry pour : Les IUT
Mes rêves sont les trois enjeux que nous nous sommes engagés à relever à l’ADIUT
1. L’enseignement supérieur est trop souvent uniquement piloté par la recherche. Or, je pense qu’il ne faut pas déconnecter l’enseignement et la recherche. Mon premier rêve est que les deux facettes puissent aller de pair, car les IUT sont précisément cela : de la recherche au service de l’enseignement, un enseignement au service du transfert de la technologie.
2. L’enseignement supérieur oublie trop souvent la professionnalisation. Il faut un dialogue entre le MESR et celui du redressement productif sur ce thème. Où sont les métiers, la professionnalisation, les compétences des étudiants ? Je rêve que la mission de l’enseignement supérieur soit aussi la professionnalisation.
3. Enfin, les pôles en construction sont fondés sur la dimension territoriale. C’est positif dans l’optique de proximité de l’enseignement supérieur. Le problème c’est que ce sont des métastructures… Les IUT ont toujours eu cette vocation d’avant-postes de l’enseignement supérieur en France depuis leur création en 1966. L’évolution du paysage ne doit pas faire perdre cette proximité et cette possibilité pour chacun de se former, où qu’il vive en France. Plus généralement je rêve que l’Etat n’oublie pas que l’université fait partie de ses missions, qu’il cesse ce désengagement criminel pour l’avenir du pays !
Aux étudiants : Je souhaite à nos étudiants qu’étudier en IUT soit le fruit d’un vrai choix, et non de quotas ou des hasards d’APB. Je rêve que le système permette aux jeunes de vraiment choisir leur filière. A nos étudiants, je souhaite surtout qu’ils trouvent ce qu’ils sont venus chercher, que nos formations soient à la hauteur de leurs espérances.
A. DF