Diplômée de l’ENS et spécialiste de littérature américaine, Marie-Christine Lemardeley préside depuis 2008 l’Université de la Sorbonne Nouvelle. Portrait d’une femme discrète engagée dans son temps.
« Faire accepter aux autres le changement »
Le challenge d’un président d’université ? « Le travail en équipe », vous répondra Marie-Christine Lemardeley. « Mon rôle est de me faire l’écho des gens que je représente, de mettre en place des lieux de concertation… » La Présidente de la SorbonneNouvelle reconnaît affectionner particulièrement cette dimension collective de son travail. « Quand on est président, on est seul, rappelle-t-elle néanmoins. Surtout lorsqu’il faut prendre une décision et faire accepter aux autres le changement. » Le changement, Madame Lemardeley en a fait le fil directeur de son premier mandat : « Quand je suis arrivée, l’université était dans un état de démoralisation générale. Mon but était de rétablir la confiance, et de réorganiser l’université, qui marchait trop à la coutume, à l’habitude. » A cet objectifs’ajoutait la volonté de désenclaver l’université, qui rejoint en 2010 le PRES Sorbonne Paris Cité, nouveau groupement universitaire pluridisciplinaire. « C’était un pari un peu risqué, l’enjeu était de trouver sa place et de s’intégrer dans ce nouveau groupe », explique-t-elle. En parallèle, Marie-Christine Lemardeley continue ses travaux de recherche en littérature. « J’aime beaucoup ce mélange entre l’abstrait et le très concret dans la fonction de président, explique-t-elle. Pour être respecté par ses interlocuteurs et ses collègues, un président doit aussi être un chercheur et un bon enseignant. » Réélue pour un second mandat en avril dernier,Madame Lemardeley n’en oublie pas sa vocation première… « J’ai changé de métier, mais pas de vocation, confie-t-elle. Je me considère toujours comme un professeur. D’ailleurs, on retrouve toujours cette dimension pédagogique dans la fonction de président. »
Du Golden Gate Bridge à la Sorbonne Nouvelle
Diplômée d’une licence de sciences de l’éducation en parallèle de sa formation d’angliciste à l’ENS, Marie-Christine Lemardeley confie avoir toujours porté un intérêt particulier à la pédagogie. A la direction du collège néerlandais de la Cité internationale universitaire de Paris, elle lance l’initiative de développer un relais d’aide psychologique pour des étudiants parfois « déracinés ». A la Sorbonne Nouvelle, elle réunit les élèves en thèse souvent livrés à eux-mêmes afin que ces derniers puissent échanger sur leur travail… Des pratiques aujourd’hui généralisées, mais encore inexistantes à l’époque. Cette passion pour la pédagogie et l’enseignement, Madame Lemardeley l’explique par « un désir de transmettre une passion pour la littérature, une curiosité et une envie d’apprendre ». Avec un intérêt particulier pour la littérature américaine autobiographique et expérimentale, elle part aux Etats-Unis en 1975, où elle obtient le poste de teaching-assistant à l’Université d’Utah après un passage par San Francisco : « Je n’ai pas été déçue : le Golden Gate Bridge ressemblait parfaitement à la description qu’en avait fait mon professeur de 3e… »
« J’ai consciemment fait appel à des jeunes femmes pour constituer ma liste »
Dans son parcours, Marie-Christine Lemardeley reconnaît bien souvent avoir connu des freins. « Quand je suis entrée à Normale Sup en 1972, l’établissement des garçons et celui des filles n’avaient pas encore fusionné, raconte-t-elle. Tandis que les garçons étaient dès le début poussés à faire une thèse, on nous encourageait à devenir de bonnes enseignantes du secondaire qui allions nous marier. Nous avions même des cours de maquillage ! Lorsqu’en 2000, je suis devenue la 2e femme à être présidente du jury de l’agrégation d’anglais, j’ai réalisé que quand on arrivait à un certain niveau de responsabilité, il n’y avait plus de femmes. » Avec seulement 20 % de femmes parmi les professeurs d’université, le monde de l’enseignement n’échappe pas au fameux plafond de verre. Pour corriger cette orientation, Marie- Christine Lemardeley a ajouté une mission égalité hommes femmes au sein de la Sorbonne Nouvelle. « Quand je me suis présentée la 1ère fois à la présidence en 2006, j’avais 53 ans. On m’a dit que j’étais trop jeune. C’était assez agaçant, sachant qu’à la même époque Nicolas Sarkozy était plus jeune que moi ! J’ai d’ailleurs consciemment fait appel à des jeunes femmes pour constituer ma liste : une femme, il faut aller la chercher, elle n’a pas tendance à se mettre en avant. » Si la présidence des universités reste aujourd’hui un milieu très masculin, Madame Lemardeley ne nie pas exercer une forme de management un peu différente de ses collègues, avec une plus grande importance accordée aux détails et au questionnement. « Pour moi, le président n’a pas une position de pouvoir ; il a une position d’autorité », conclue-t-elle dans un sourire…
Sa citation : « L’erreur n’est pas une faiblesse, mais une force, la rêverie n’est pas une fumée mais un feu. » Georges Canguilhem
Ses valeurs : la lucidité, la rigueur, le dialogue
Alizée Gau