Jeudi dernier, Nicole Bricq, Ministre du Commerce extérieur, est intervenue à Sciences Po sur le thème « Commerce extérieur et compétitivité française » dans le cadre du débat organisé par le centre d’études européennes de l’Institut. Les deux autres intervenants, Elie Cohen, directeur de recherche du CNRS, et Lionel Fontagné, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ont partagé leurs points de vue sur ce sujet complexe.
« La mondialisation est une réalité technique et économique »
Madame la ministre, Nicole Bricq, s’est montrée très accessible auprès des étudiants de Sciences Po en abordant un sujet controversé. Elle a défendu l’idée que face à l’augmentation du nombre d’acteurs dans l’économie mondiale et une concurrence accrue, la France doit s’investir pleinement dans le phénomène de globalisation si elle veut maintenir son statut sur la scène internationale. Elle n’a pas hésité à rappeler ce que Lionel Jospin affirmait déjà en 2005 : « la mondialisation est une réalité technique et économique. Il faut donc l’organiser. » Aujourd’hui, accusant un déficit commercial de 61 milliards d’euros, l’Hexagone doit dépasser sa défiance vis-à-vis de l’ouverture des marchés. Il est impératif que la compétitivité devienne le moteur de l’économie. Innovation et adaptation à la nouvelle demande mondiale permettront au pays de retrouver sa bonne santé économique. « Le commerce extérieur est le « juge de paix » de la compétitivité. » déclare-t-elle.
Comment s’inscrire dans ce processus ?
Partant de ce constat, elle rappelle que plusieurs solutions ont été proposées jusqu’ici : l’amélioration de la qualité des produits, la baisse du coût du travail et l’intégration de la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). La France doit parier sur ses atouts notamment en termes de création et d’innovation. « Les Français ont un tempérament entrepreneurial. Près d’un tiers des Français ont créé ou envisagent de créer une entreprise. » affirme-t-elle. D’autre part, c’est un pays reconnu pour sa rigueur dans le domaine de l’industrie, « la France est une nation d’ingénieurs. » Cependant, l’innovation ne suffit pas : pour être performant sur le marché, marketing et design sont fondamentaux.
En 2012, le pacte de compétitivité avait été signé et complété par une législation économique favorable à l’emploi. Le 6 et 7 décembre 2013 s’est tenue la conférence mondiale de l’OMC à Bali. Celle-ci a affirmé la libéralisation des échanges pour 2015 ainsi qu’une reconnaissance du multilatéralisme contre le bilatéralisme. Nicole Bricq a rappelé la position de son ministère : pour créer de la richesse, l’Etat et les entreprises doivent travailler ensemble.
Face à ce discours consensuel, le gouvernement pendra-t-il davantage de risques ?
Compétitivité et attractivité : la polémique continue
Les deux autres intervenants, Elie Cohen et Lionel Fontagné, ont ensuite alimenté le débat avec quelques arguments contradictoires.
Lionel Fontagné a mis en garde l’auditoire contre la notion d’attractivité trop souvent liée à celle de compétitivité. Les entreprises étrangères cherchent à conquérir de nouvelles parts de marché et l’emploi qu’elles génèrent n’en est que le résultat indirect. Il est dangereux de s’appuyer sur celles-ci pour espérer faire chuter le chômage. De plus, l’importation de biens et de services ne doit pas être diabolisée puisqu’elle est bénéfique pour le pouvoir d’achat et permet l’arrivée de nouvelles idées sur notre territoire : « on oublie souvent que commercer avec l’extérieur, c’est aussi importer. »
Pour Elie Cohen, la mauvaise santé des exportations françaises s’explique par l’impossibilité de l’Etat à mener une quelconque politique monétaire. Le manque de clairvoyance de celui-ci vis-à-vis des enjeux que représente le marché unique le place dans une situation défavorable face à l’Allemagne. Selon lui, « la France a raté son entrée dans la mondialisation. » Les initiatives publiques sont, à ce jour, trop éparses pour réaliser une véritable réforme structurelle, il est nécessaire de les réunir.
L’inadéquation entre les exigences des spécialistes et l’audace des hommes politiques est une chose courante. Les étudiants de Sciences Po auraient certainement souhaité que le débat progresse davantage. Madame la ministre a-t-elle souhaité maintenir un discours prudent à quelque mois des élections municipales ?
Simon Sénot & Olympe Muller