Interview Alexandre Rigal JUNIA
crédits Junia

 « L’ingénieur JUNIA est un passeur d’innovation » – L’interview d’Alexandre Rigal

Nommé directeur de JUNIA en juin 2024, Alexandre Rigal dévoile sa version d’une grande école des transitions. Au cœur de sa stratégie : réconcilier société et science, renforcer les liens avec les entreprises et former des ingénieurs conscients de leur responsabilité sociétale.

Être une grande école des transitions, ça veut dire quoi concrètement ?

JUNIA est une école particulière, née de la fusion de trois écoles historiques des Hauts-de- France : HEI (créée il y a 140 ans, en pleine révolution industrielle), ISA (qui répond aux problématiques agricoles du territoire) et ISEN (née lors de la révolution électronique en France). Ces trois écoles ont fusionné autour de l’enjeu des transitions. Sa force aujourd’hui ? Sa capacité à accueillir 4 000 étudiants sur trois campus et de leur proposer plus de 40 domaines de professionnalisation et ainsi d’adresser un large spectre de réponses technologiques aux évolutions. Car il ne faut pas tomber dans le piège : la transition n’est pas qu’environnementale. Si nous sommes tous conscients de la raréfaction des ressources, les entreprises ont besoin d’être accompagnées sur de multiples fronts : la transition industrielle, numérique, agricole, alimentaire, etc.

L’inauguration récente du Palais Rameau représente un investissement symbolique pour JUNIA. En quoi ce lieu incarne-t-il votre approche de l’innovation ?

Le Palais Rameau est un démonstrateur qui illustre notre capacité de recherche et d’innovation sur des technologies de rupture, particulièrement autour de l’alimentation du futur. Contrairement à un laboratoire classique, c’est un lieu ouvert qui a vocation à réconcilier la société et la science. Les étudiants peuvent y suivre des cours et des TP et le grand public peut entrer chez JUNIA et être au contact des technologies sur lesquelles nous travaillons. Ce lieu est aussi ouvert aux entreprises et acteurs concernés (comme Euralimentaire), qui peuvent ainsi tester et transformer leur production, l’analyser dans nos laboratoires d’analyse sensorielle, ou encore utiliser notre salle immersive qui reproduit certaines conditions de consommation ou climatiques.

Justement, comment JUNIA construit-elle ses partenariats avec les entreprises pour répondre aux défis des transitions ?

JUNIA place l’entreprise au cœur de son projet pédagogique. Ce lien se traduit classiquement à travers les dispositifs intégrés dans le cursus des étudiants (alternance, stages obligatoires ou projets collaboratifs). Nous développons aussi différemment cette relation, avec une direction dédiée à l’accompagnement des entreprises en fonction de leurs besoins actuels. L’ancrage territorial constitue également un atout majeur dans la construction de ces partenariats. Présente à Lille, Châteauroux et Bordeaux, JUNIA travaille en étroite collaboration avec un écosystème diversifié. Cette proximité favorise des échanges réguliers et une meilleure compréhension des enjeux locaux. La formation continue représente aussi un autre pilier central de la stratégie de JUNIA face aux transitions. Elle s’adresse particulièrement aux PME et ETI qui, bien que conscientes des enjeux, ont besoin d’accompagnement pour requalifier leurs cadres et faire évoluer leurs compétences.

L’innovation, c’est génial… mais est-ce toujours durable ? Comment intégrez-vous cette réflexion critique dans votre vision de l’ingénierie ?

Nous devons former des ingénieurs capables d’accompagner les transitions technologiques tout en étant conscients des impacts positifs et négatifs des technologies. J’ai l’habitude de dire aux étudiants qu’un ingénieur est un passeur d’innovation. Dans une société où les sciences font peur, où l’on observe une désaffection pour les matières scientifiques, ils doivent en comprendre les besoins et mobiliser leurs connaissances pour y répondre. Cela confère une responsabilité sociétale qui va au-delà de l’aspect technique. Prenez le débat sur l’IA ou la robotisation de l’industrie par exemple : l’ingénieur doit prendre en compte les paramètres sociaux et économiques des technologies qu’il développe. Pour cela, le défi majeur reste notre capacité à décloisonner deux mondes qui se parlent très peu : l’entreprise d’un côté, la formation et la recherche de l’autre. C’est un enjeu fondamental pour réussir les transitions à venir