L’inégalité (du marché) peut-elle être juste ?

MGKTN°13-091

MARKETING ET ETHIQUE LES LIAISONS DANGEREUSES ?

 

Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit selon le premier article de La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais seulement égaux en droit ? Ne faut-il pas donc attendre à ce que les Hommes soient égaux dans la vie de tous les jours? Et après tout, l’égalité est-elle toujours juste ?

John Rawls (1921-2002), dont le livre « Théorie de la justice » (1971) est devenu un classique de la philosophie morale, s’y interroge. Il cherche à découvrir les principes d’une société juste et à comprendre si dans une telle société certaines formes d’inégalité peuvent exister. Pour la société juste, il propose deux principes. Selon le premier principe, celui d’égale liberté, chaque individu a le même droit aux libertés inaliénables de circulation, d’expression, de réunion, de propriété, etc. Les citoyens doivent pouvoir faire des choix libres pour poursuivre leurs buts propres. Mais de ce principe d’égale liberté résulte indéniablement des inégalités de fait entre Hommes. Rawls présente alors son deuxième principe : les inégalités économiques et sociales entre individus sont justifiées si elles sont issues des fonctions et des positions ouvertes à tous selon le principe de l’égalité des chances – mais pas à cause de l’origine sociale. Ces inégalités sont équitables si elles profitent au plus grand nombre des plus désavantagés.
Prenons un exemple. Le directeur d’un établissement en enseignement supérieur souhaite engager un professeur/chercheur. Or, il se trouve que son neveu est justement professeur/chercheur. Le directeur peut-il engager son neveu sans autre procédure ? Non, s’il veut être juste. Il doit plutôt faire un appel d’offre pour repérer le candidat le plus compétent. Et comment faut-il faire si finalement deux candidats, l’un sans travail et l’autre déjà en poste, sont aussi compétents pour le poste ? Selon le modèle de Rawls, le directeur doit engager celui qui est chômeur parce qu’il est le moins avantagé dans la société.
Une société juste n’est donc pas égalitaire mais c’est une société où des opportunités donnant lieu aux positions avantageuses, sont accessibles à tous. Dans ces conditions, les inégalités sociales et économiques qui en résultent sont justes si elles sont pour le plus grand profit des plus désavantagés. Par de même les inégalités qui ne profitent pas à tous sont injustes. Mais comment dans une société juste, les avantages obtenus par les uns peuvent profiter autant aux autres ? Pour y répondre, prenons l’exemple des riches qui acquièrent des oeuvres d’art et les placent dans des musées au profit de tous ceux qui sauraient les admirer. Les principes d’une société juste sont hiérarchiques. Le principe d’égale liberté est prioritaire sur le principe d’égalité des chances qui est prioritaire, à son tour, sur le principe de différence des fonctions. Par conséquent, aucune diminution des inégalités ne légitimerait la restriction des libertés. Pour John Rawls, la violation des droits fondamentaux aux libertés constitue une grande injustice. Pour faire saisir son idée de la justice, Rawls propose l’idée de « voile d’ignorance » : des individus libres et égaux doivent inventer une société juste selon les principes qu’ils choisissent. Ils peuvent choisir n’importe quel principe, mais ils ne peuvent pas savoir la place qu’ils occuperaient dans la société qui résultera des principes choisis (voile d’ignorance). S’ils choisissent le principe du rapport maîtreesclave dans la société, ils ne pourraient donc savoir s’ils seraient maîtres ou esclaves. Avec ce voile d’ignorance que Rawls propose, les individus contractent entre eux pour définir la société dans laquelle ils veulent vivre ensemble. Mais comme ils ne peuvent pas connaître leurs positions dans la société ainsi construite, ils ont tout intérêt à choisir les principes fondateurs justes et non pas les principes égocentriques de peur d’en être eux-mêmes victimes. Dans cette perspective, un marché peut être un arrangement social juste s’il garantit d’abord des libertés de base et puis l’accès égal aux fonctions et positions sociales à condition que des inégalités qui en résultent soient favorables aux agents les moins avantagés. Pour apprécier la pleine valeur du principe de différence, il faudrait se placer dans le contexte de la démocratie de propriétaires et non dans celui de l’Etat-Providence. Nous avons commencé cet écrit avec le premier article d La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Cet article contient en fait deux phrases. Les deux ensemble s’apparentent parfaitement à la théorie de justice de John Rawls : droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »

 

Par Djamchid Assadi
Professeur en marketing stratégique et chercheur au CEREN au Groupe ESC Dijon

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