En 2016, Pepper un robot social, humanoïde, fabriqué par SoftBank Robotics, donnait son premier speech durant la conférence TEDxPolitechnikaOpolsk en Pologne. En 2017, Sophia fut le premier robot crée par la société Hanson Robotics, ayant bénéficié de la nationalité Saoudienne. En 2022, la société chinoise NetDragon Websoft a recruté Madame Tang Yu, un robot virtuel humanoïde comme son PDG. Et après, va-t-on voir des citoyens décider d’élire démocratiquement un président robot à la tête de leur pays, sous prétexte d’une méfiance et d’un détachement grandissants ressentis envers les élus humains ?
La robotique n’est plus une science-fiction et son utilisation dans l’industrie remonte à plus de cinquante ans. Nous nous intéressons ici plus particulièrement aux robots sociaux humanoïdes (des robots avec une apparence quasi-humaine) dont le marché global est évalué à 1,53 milliards de dollars, et devrait dépasser les 12 milliards d’ici 2027.
Le robot social, plus que parfait !
Les robots sociaux (humanoïdes ou zoomorphiques) sont généralement définis comme étant des robots autonomes qui interagissent avec les individus d’une manière humanisée et émotionnelle, pouvant simuler des sentiments (à la manière d’un compagnon), voire fournir de l’aide (à la manière d’un assistant). Dotés d’options sensorielles (e.g., écoute, vue, toucher), ces robots sont capables de s’adapter aux préférences et capacités physiques des utilisateurs, tout en apprenant de leurs interactions sociales (Scoglio et al., 2019). Des exemples de ces robots sont Pepper, Nao, Kaspar, Aibo, Care-O-bot, voire Paro.
Les robots sociaux ont l’avantage d’être constamment disponibles, jamais malades, tout le temps calmes et de bonne humeur, pouvant travailler longuement et durement sans signe de fatigue voire de ras-le-bol. De plus, du fait de leur capacité à véhiculer de l’empathie, les robots sociaux sont de plus en plus utilisés dans la santé, dans les services et assistance aux personnes âgées, infirmes et aux enfants en difficultés (Carradore, 2022). Qualifiés aussi de « robots de services » (Wirtz et al., 2018), ils sont également utilisés pour recevoir les clients dans les hôtels et restaurants, lire des livres et fournir des informations dans les foyers, faire amuser les enfants (Henschel et al., 2021), voire aussi dans l’éducation et la formation (Donnermann et al., 2021).
Le robot social, un ami qui vous veut du bien !
La recherche sur la robotique sociale s’est intéressée à l’étude de l’interaction humain-robots (Human-Robot Interaction, HRI) depuis bien longtemps notamment en raison du fait que les individus ont une forte tendance à anthropomorphiser les robots (Breazeal et al., 2016). Les robots sociaux sont des « esprits anthropomorphes » (Sandini & Sciutti, 2018), du fait de leur capacité à exprimer un comportement socio-émotionnel via le mouvement et les gestes, le regard, la proxémie, les expressions faciales, le toucher, la voix et la parole, ainsi que d’autres technologies d’affichage (Breazeal et al., 2016). Ces robots ressemblants et agissants comme des humains provoquent des sentiments équivoques chez les individus, pouvant passer de l’empathie vers la révulsion selon le degré de perfection ou d’imperfection dans l’imitation humaine, un phénomène connu sous le vocable de « vallée de l’étrange » (Mori et al., 2012). D’après le paradigme « Computers as Social Actors (CASA) », les individus perçoivent les robots comme des acteurs sociaux, interagissant avec eux comme avec des humains (Nass & Moon, 2000). La perspective de l’ambiguïté catégorielle nous permet de constater le fait que les robots sociaux combinent des dimensions relevant du produit, du service et de la technologie, ce qui en fait des produits hybrides dont la catégorisation impacte les attitudes des utilisateurs à leur encontre. La nature ambiguë de ces robots (c.à.d., provoquant des interactions à mi-chemin entre celles typiques d’un outil et celles typiques d’un être humain) représente ainsi un frein à leur adoption, mais en même temps une opportunité pour créer des expériences interactives, œuvrant in fine à augmenter leur acceptation et diffusion (Kalisz et al., 2021).
La cyberpsychologie sert à étudier « les processus psychiques qui se développent lorsque l’homme entre en interaction avec des technologies » (Tisseron & Tordo, 2021, p. 5). Cette discipline nous permet ainsi de comprendre pourquoi certains d’entre nous préfèrent le digital aux humains comme compagnons de vie (Turkle, 2012). Les robots sociaux sont dotés d’empathie artificielle qui motive les utilisateurs à leur attribuer un degré de « personéité » (Tisseron, 2020). En outre, les individus développent un attachement envers les robots sociaux, d’autant plus si ces derniers fournissent des réponses émotionnelles, encourageantes et une sorte de sécurité psychologique envers des individus en manque de compagnie humaine. Un tel attachement peut néanmoins créer une dépendance et nuire aux relations vécues par les individus dans leurs vies réelles (Xie & Pentina, 2022).
Le robot social, je t’aime moi non plus !
Les robots sociaux provoquent en nous une attitude ambivalente, entre fascination et inquiétude, familiarité et étrangeté, rassurance et effroi. Les développeurs de ce type de robots œuvrent inlassablement pour les rendre très sympathiques et attachants, les dotant ainsi d’une plus grande empathie artificielle, nous poussant à oublier les biais de leurs concepteurs qui transparaissent via ces machines, à oublier qu’un robot n’est doté d’aucun sentiment, et enfin d’oublier qu’un robot n’est pas un humain mais surtout qu’un humain n’est pas un robot (Tisseron, 2017).
Nous commençons à être de plus en plus entourés de ces robots humanoïdes capables de nous connaitre, de lire nos émotions, de répondre à nos désirs les plus enfouis, voire de nous aimer.
Cet état de fait nous pousse à nous questionner sur nos relations avec ces robots et sur le devenir de nos relations entre nous entourés de ces machines (Tisseron, 2015). Allons-nous accepter cet état de fait ? ou allons-nous prendre conscience que les sentiments sont la « substance même de notre humanité » et devraient donc être réservés à l’interaction humaine ? (Pourra et al., 2020). Une perspective transdisciplinaire est requise pour appréhender les contours notamment éthiques et philosophiques qui permettraient de mieux saisir la complexité de notre humanité et nos interactions avec des ressemblances humaines.
L’auteur est Insaf Khelladi, PhD, Associate Professor en marketing à l’École de Management Léonard de Vinci (EMLV) Paris-La Défense, et responsable du groupe de recherche Business au DVRC