Chaque année, à la mi novembre, lors de la pleine lune, 200 000 pèlerins adorateurs de Brahma le créateur, se rendent avec famille, cheptel et bagages à Pushkar où ils peuvent adorer leur dieu dans l’unique sanctuaire existant.
Des talents d’artistes pour leurs bêtes
Ils arrivent à Pushkar des immensités désertiques du Thar et des quatre coins du Rajasthan, dans des chariots bâchés tirés par des chameaux hautains. Les suivent leurs plus belles bêtes, chevaux, chameaux encore ou vaches sacrées. Les nouveaux venus dressent leurs tentes dans une vaste plaine aménagée pour cette foire, avec abreuvoirs pour les bêtes, le plus important, attractions foraines, bistrots ambulants. Aussitôt, les marchands de fruits, légumes ou beignets s’installent aussi sur le terrain. Les femmes des éleveurs préfèrent habiter en ville, organisés pour les pèlerins. Bientôt, ce n’est qu’un concert de cris : les chameaux blatèrent, les chevaux hennissent, les vaches et taureaux meuglent à qui mieux mieux. Partout dans le camp, on peigne, lisse, tresse poils et crinières. Chevaux et vaches sont peints. Cette vache a les cornes bleues, cette autre est teinte en rose et affublée d’un gros noeud. Des dessins de mains ocrées ornent la robe de ce cheval blanc. Cet autre, albinos, a des yeux tendres, d’un bleu rivalisant avec celui du ciel. Ce n’est pas l’iris qui est bleu, mais la cornée. Quant aux chameaux, on coupe leur toison pour y inscrire des motifs géométriques et on farde de khôl leurs grands yeux pensifs avant de piquer sur leur front une rose rouge. Il ne reste plus qu’à enfiler autour de leurs cous des séries de colliers – la place ne manque pas. A dix-huit heures, la nuit tombe comme un rideau que l’on baisse.
Le premier soin est pour les bêtes
8 heures du matin, le camp s’éveille, les bêtes ont faim. Avant de faire chauffer pour eux chaï (thé) ou chapati (crêpes), les hommes sortent des chariots le fourrage emporté. On mène les bêtes aux abreuvoirs. Les acheteurs examinent les bêtes, scrutant les dents des chameaux pour en connaître l’âge, enfourchant un cheval pour se lancer à plein galop dans le camp, palpant le flanc des vaches ou les attributs des taureaux.
9 heures du matin, les palabres commencent, interminables comme il se doit en Orient. Simple question de politesse.
10 heures du matin, les femmes ayant terminé leurs dévotions à Brahma s’occupent d’empiler les matelas, laver le linge et préparer la marmite de riz, curry et légumes, viande et alcool étant interdits dans la ville sacrée. Chacun se sert quand il veut, puisant à pleine main dans la marmite.
La jalousie d’une femme
11 heures, bêtes et humains repus, ceux qui ne sont pas encore allés priés leur créateur s’entassent dans des chariots ou chevauchent des motos, de la marque Tata, bien sûr. Jadis Brahma, voulant célébrer une puja ou cérémonie d’offrandes, attendait son épouse Savitri et la coquette n’était pas prête. Brahma épousa alors une belle fille de Pushkar pour que la cérémonie puisse avoir lieu. Furieuse, Savitri lui jeta un sort : aucun autre temple ne lui serait jamais consacré. Une foule très dense se presse devant le temple, bordées de murs couverts d’ex-voto. On ne peut le photographier et il ne faut y introduire aucun objet de cuir, réputé impur. Les vieilles pierres peinturlurées d’orange et de bleu rivalisent avec les saris multicolores ou les jupes rouges des femmes du Rajasthan aux bras couverts de bracelets d’ivoire. On se presse pour apercevoir l’effigie du dieu, disparaissant sous les offrandes de fleurs, statue à trois têtes assez grossière.
Un lac sacré né d’un pétale de lotus
12 heures, les pèlerins doivent encore accomplir leurs ablutions sacrées dans le lac, né paraît-il d’un pétale de lotus. C’est dire s’il est sacré ! Un peu partout autour du lac ont été crées de vastes bassins réservés à ces ablutions et empêchant les noyades de pèlerins trop zélés, ayant oublié qu’ils ne savaient pas nager. L’eau est glacée à cette période, mais qu’importe. Chacun s’y immerge par trois fois. Les gamins barbotent.
13 heures, retour au camp. Les bains ont donné faim. On se presse autour des marmites, on nourrit les bêtes, on les abreuve ou leur fait une nouvelle toilette, de la tête aux sabots. Les palabres reprennent.
Les périlleuses courses de chameaux
14 heures, début des premières courses de chameaux dans le stade. La foule se presse sur les gradins. Les « jockeys », assis en arrière de leurs bêtes, n’ont aucun étrier et ne les dirigent qu’à l’aide d’une corde passée dans les naseaux. Certaines bêtes ne parviennent pas à les prendre et foncent droit sur la foule, que les policiers font vite reculer. Un « jockey » à la longue chevelure noire lui battant les reins est l’incontestable vainqueur d’une première course, une seconde, une troisième. Acclamé par la foule, il est porté en triomphe. Les acheteurs se pressent déjà autour des trois bêtes qu’il a menées à la victoire.
17 heures, certains profitent du jour finissant pour aller examiner dans leurs tentes aussi chamarrées que celles des maharajas en campagne les plus beaux coursiers qui disputeront le lendemain d’autres courses. Si un chameau de course peut s’acheter jusqu’à 45 000 roupies (un euro vaut environ 60 roupies), un riche Indien n’hésitera pas à mettre 100 000 roupies ou plus dans ces magnifiques purs sangs nerveux et aussi rapides, dit-on, que le vent du désert.
18 heures, les derniers pèlerins quittent les ghât (les marches) sacrés menant au fleuve. Les chariots, déguisés en palanquins avec leurs drôles de bâches rouges, regagnent le camp. La grande roue s’arrête. Le soleil teinte de rose le lac né d’un lotus. Une nouvelle nuit tombe sur la plus grande foire de l’Inde.
Isaure de Saint Pierre