La douceur du quotidien vu par Jirô Taniguchi

De toutes les influences culturelles qui nous parviennent du pays du soleil levant, les mangas sont sûrement les oeuvres les plus répandues et les plus habituelles. Mais quand nous pensons aux mangas, nous avons souvent à l’esprit des histoires mouvementés pour public adolescent. Mais lorsqu’on s’intéresse de plus près à cet univers, on découvre une diversité d’ouvrages d’une plus grande profondeur. Et pour les néophytes, ils auront plaisir à découvrir l’excellent mangaka Jirô Taniguchi.

Né en 1947 à Tottori au Japon, Jirô Taniguchi publie son premier album Un Été desséché en 1970. Il poursuivra avec le scénariste Natsuo Sekikawa (également journaliste) sur plusieurs histoires dont Au temps de Botchan en cinq tomes. Cette série sera considérée comme le premier vrai manga littéraire. Dans cette oeuvre, Jirô Taniguchi décrit avec poésie un large panorama de ce que fut le Japon de l’ère Meiji (1868-1912), au travers d’écrivains, de figures de la politique et du syndicalisme d’un Japon en pleine mutation. On y voit toute la difficulté qu’a ce pays à faire face à la fin de l’autarcie et de la féodalité qui ont structuré sa société durant des siècles. Les auteurs montrent un Japon souffrant d’un complexe d’infériorité et désireux de se moderniser à la façon occidentale, mais où quelques voix s’élèvent pour souligner la spécificité de l’âme et du passé japonais et appeler à une modernité qui soit également japonaise. A partir de 1991, il signe des albums comme auteur complet. Son premier ouvrage publié en français, l’Homme qui marche, remonte à 1995. Avec cette oeuvre, Jirô Taniguchi s’approprie des sujets du quotidien, ces banalités qui donnent à l’existence toute sa saveur, qu’il rend émouvant par leur simplicité et leurs incertitudes. Depuis lors, Casterman et Kana ont édité en français une quarantaine d’ouvrages qui ont su séduire un public au-delà de tout clivage. Il rassemble les lecteurs de BD comme les lecteurs de littérature classique, les amateurs de BD franco-belge comme les fans de mangas, et attire aussi un public féminin.
Son plus grand succès, Quartier lointain, sort en France en 2002. Il est vendu à plus de 250 000 exemplaires, et obtiendra l’Alph’art du meilleur scénario étranger à Angoulême et le prix de la meilleure BD adaptable au cinéma au Forum international Cinéma & Littérature de Monaco en 2003. Le réalisateur belge Sam Garbarski a d’ailleurs réalisé en Savoie et au Luxembourg une adaptation du manga, transposé dans la France des années 60. Si ce film est une vraie réussite, c’est avant tout grâce au talent de Taniguchi qui sait si bien retranscrire la nostalgie de l’enfance et du paradis perdu. Son récit, empreint de mélancolie, met en scène un homme de 48 ans, qui, en quelques battements d’ailes de papillons va voyager dans le temps et revivre quelques jours de son enfance. Mais il n’est plus le garçon qu’il était, il a perdu son insouciance et son innocence. C’est avec un regard d’adulte et la maturité affective d’un homme d’âge mur qu’il tente d’aider ses proches, de les comprendre, afin d’échapper à l’inéluctable. C’est avec une part de tendresse et d’envie que l’on suit ses pas, comme un vieil ami avec lequel on pourrait tout partager. L’auteur, tantôt mélancolique, tantôt amusé, renouvelle les topos du voyage dans le temps avec beaucoup d’élégance et de tendresse.

Cécile Della Valle – X2009