Initié dans les années 1970, le microcrédit moderne a pas à pas creusé son sillon dans le monde de la finance. Après quarante ans d’activité et un prix Nobel de la paix récompensant en 2006 le père fondateur du microcrédit Muhammad Yunus, qu’en est-il du microcrédit ?
Les années 2000 ont non seulement été celles de la reconnaissance mondiale pour le microcrédit, mais aussi celles de son succès : selon les données du Microfinance Information Exchange, entre 2004 et 2008, le secteur du microcrédit a progressé à un rythme historique, affichant un taux de croissance annuel moyen de 39 %. Malgré un taux de croissance annuel de 20 % seulement ces deux dernières années – imputable à la crise économique mondiale – les microcrédits en cours représentent 40 milliards de dollars. De plus son succès a engendré sa diversification : on parle désormais du secteur de la microfinance, qui ne se limite plus aux prêts, mais comprend aussi les produits d’épargne, la micro-assurance, les transferts d’argent et le crédit bail. Enfin le microcrédit suscite un fort intérêt auprès du grand public : les plateformes internet « peer to peer » telles que Babyloan qui permettent aux particuliers de financer les projets de micro-entrepreneurs, enregistrent un taux annuel de croissance de 200 à 400 %.
Cependant le microcrédit est critiqué d’abord lorsqu’on en oublie les conditions nécessaires de fonctionnement. Le microcrédit s’adresse à des clients certes pauvres mais potentiellement solvables c’est-à-dire avec un projet d’entreprise permettant le remboursement futur de l’emprunt. Il ne s’adresse donc pas à tous les profils de nécessiteux. Une des critiques du microcrédit réside aussi souvent dans les taux d’intérêts des microcrédits qui s’élèvent en moyenne à 25 %. Cependant ces taux s’expliquent : d’une part les fonds des institutions de microfinance (IMF) proviennent en partie d’emprunts qui eux-mêmes ont des taux d’intérêts élevés, d’autre part dans les économies locales l’inflation est telle qu’elle doit être répercutée sur les taux d’intérêts même à court terme, enfin la spécificité du microcrédits engendre des frais supplémentaires car il est onéreux de gérer une multitude de « petits » prêts, surtout lorsque ces derniers supposent un suivi de leurs souscripteurs. Fonctionnant sur le mo- dèle libéral, le microcrédit justifie aussi ses taux d’intérêt élevés par les risques élevés de ses prêts.
Mais le microcrédit est également pointé du doigt pour les problèmes de surendettement, notamment lorsqu’en novembre 2010 le gouvernement de l’Andra Pradesh, Etat indien doté du plus grand nombre d’IMF, promulgue une loi prévoyant de lourdes condamnations pour le «harcèlement» des agents de crédit envers les emprunteurs. Les détracteurs ne condamnent pas le microcrédit lui-même mais plutôt sa mutation parfois observable en de simples crédits à la consommation, impossibles à rembourser. De plus la récente cotation en bourse de certaines IMF, comme SKS en Inde, alimente la critique. La financiarisation du microcrédit lui fait perdre son objectif premier en développant la spéculation sur des crédits accordés à des pauvres sans compter que le développement déraisonné des microprêts peut conduire au surendettement des emprunteurs pauvres.
Marie Lavielle
Contact : marie-lavielle.esc@em-lyon.com