Contrairement au lieu commun ce n’est pas “ connais-toi toi-même “ l’expression phare des philosophes antiques mais “ prendre soin de soi “. Bien entendu que derrière une telle formulation se trouvent des sous-entendus d’égoïsme, de renfermement, d’égocentrisme. Et puis, comment faire ? Comment prendre soin de soi ? Cela va sans dire que ce que l’on entend par prendre soin de soi n’est pas l’application d’une nouvelle crème sur le corps, ni même le bon repas que l’on envisage. – Par Xavier Pavie, Professeur à l’ESSEC Business School, Directeur du centre iMagination. Dernier ouvrage paru : Le choix d’exister (Les Belles Lettres)
Prendre soin de soi pour prendre soin des autres
Prendre soin de soi est bien plus complexe puisque l’on cherche ici la façon d’aller possiblement mieux dans son âme, son esprit, son être. C’est d’ailleurs peut-être parce que c’est compliqué que l’on préfère prendre soin d’autres choses, comme de sa carrière professionnelle, de ses biens matériels, de sa réputation. C’est bien ce que reproche Socrate à l’un de ses interlocuteurs : « Tu ne rougis pas de donner tes soins à ta fortune pour l’accroître le plus possible, ainsi qu’à ta réputation et à tes honneurs ; mais quant à ta raison, quant à la vérité et quant à ton âme, qu’il s’agirait d’améliorer sans cesse, tu ne t’en soucies pas, tu n’y songes même pas. » Prendre soin de soi est une attitude d’esprit nécessaire qui n’est pas sans conséquence directe et positive à l’égard d’autrui. La logique est implacable et le principe en est simple : c’est parce que je prends soin de moi que je serai capable de prendre soin des autres. Cette posture, qui est de dire que si je me soucie de moi alors je pourrai me préoccuper des autres, n’est inversement pas vraie : si l’on veille à prendre soin des autres en se négligeant, cela ne peut pas durer très longtemps, car il en résultera nécessairement un délitement de soi. Socrate le sait bien, c’est pourquoi il insiste pour que ses disciples prennent soin d’eux-mêmes avant tout ; car, en conséquence, ils prendront soin de tous.
Prendre soin de soi dans les formations supérieures ?
Le but des formations supérieures n’est certainement pas de réaliser une introspection ni – nécessairement – de cheminer philosophiquement. Il faut toutefois comprendre que prendre soin de soi peut s’envisager dans le but de se constituer comme sujet d’action face aux événements, à son environnement. C’est pourquoi prendre soin de soi n’est pas se désengager du monde et des autres pour être en retrait, mais se situer au contraire dans l’action, dans le fait d’assumer des charges en tant que citoyen responsable. Ainsi, Épictète prend soin de lui-même quand il dit qu’il est nécessaire de se demander quels sont ses devoirs chez soi en tant que père de famille, ou quels sont ceux que l’on doit suivre en tant que citoyen.
C’est là qu’intervient la responsabilité des études supérieures. Comment offrons-nous aux étudiants cette connaissance du monde dans lequel ils devront être acteurs-citoyensresponsables ? Comment les incitons-nous à prendre soin d’eux-mêmes pour qu’à leur tour ils prennent soin d’eux-mêmes ? Nous avons en effet à confronter les étudiants au monde tel qu’il est, tel qu’il se dessine, et ce, bien au-delà des matières qu’ils sont censés aborder qu’elles se nomment marketing ou philosophie, finance ou histoire, sport ou encore biologie. C’est certainement par la transdisciplinarité que cela doit se faire. Comme le préfixe “ trans “ l’indique, la transdisciplinarité relie ce qui est à la fois entre les disciplines, à travers les différentes disciplines et au-delà de toute discipline. Sa finalité est la compréhension du monde présent, dont un des impératifs est l’unité de la connaissance. Car c’est par la confrontation des mondes que l’individu se développera, par l’acquisition de connaissances variées qu’il construira sa personnalité, par un état d’étonnement renouvelé qu’il sera à même de se forger une vision.
Entre transdisciplinarité et imagination
Il y a plus de 5 ans à l’ESSEC cette conviction a pris corps à travers l’iMagination Week, une semaine dédiée à la transdisciplinarité où les étudiants se retrouvent successivement confrontés, entre autres, à des scientifiques et des artisans, des chanteurs punks et des prospectivistes, des transhumains et des écrivains. Car c’est en écoutant un chocolatier parler de son métier, en entendant les revendications d’un collectif de squat, en se laissant porter par une séance de méditation ou encore en plongeant ses doigts dans la confiture que l’on prend conscience du monde tel qu’il est. C’est face à Yves Coppens, Hubert Reeves, Cédric Vilani ou encore Didier Wampas ou Christine Ferber parmi tant d’autres que l’on découvre l’immensité des enjeux de l’espace contemporain, de la responsabilité que l’on a vis à vis de soi comme vis à vis des autres. Le développement de soi est un sacerdoce, il doit être notre obsession quotidienne. En tant qu’enseignant le devoir est certainement d’apprendre aux étudiants à se développer, à se rendre curieux pour ériger leur propre citadelle intérieure. A partir de celle-ci, l’espoir est permis que tout un chacun puisse agir en tant que citoyenresponsable.
Twitter : @xavierpavie