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Les défis de l’industrie perturbatrice de l’électromobilité 2.0 pour les constructeurs automobiles

En décembre 2015, pas une semaine ne s’est écoulée sans qu’une nouvelle société d’études de marché ou une firme de consulting ne publie des rapports sur le futur de la mobilité. Cette extraordinaire productivité dans ce domaine était probablement liée à la tenue de la Cop21 à Paris. Cet évènement a été l’occasion de mettre en avant les questions relatives à la mobilité dans un contexte économique mondial de croissance soutenue dont trois conséquences sont inéluctables : le réchauffement climatique, le manque de ressources énergétiques non polluantes et économiquement accessibles, et l’urbanisation croissante. Au-delà des répercussions de la Cop21, la mobilité du futur fait l’objet de nombreuses questions dont les réponses sont loin d’être élucidées par les acteurs de l’industrie automobile.

 

Les voitures électriques, un marché en expansion pour les constructeurs automobiles

D’un côté, nous avons les inquiétudes relatives au changement climatique qui créent un contexte favorable aux constructeurs automobiles. Les gouvernements, qui cherchent à mettre en place des normes plus strictes sur les émissions des véhicules, incitent les constructeurs automobiles à développer des véhicules moins polluants. Cette tendance, associée aux progrès réalisés dans les technologies de batteries et les infrastructures de recharge, est en train de renouveler l’intérêt pour les véhicules électriques (VE). Le marché se développe donc rapidement. En France, entre 2015 et 2016, les immatriculations des VE ont augmenté de 64 %, atteignant ainsi le seuil de 1 % des ventes de nouvelles voitures. Les premiers à bénéficier de cette expansion sont les fabricants d’équipement d’origine, tels que Renault-Nissan, General Motors ou Mitsubishi, qui couvrent aujourd’hui près de la moitié du marché mondial. En se basant sur ce contexte, certains présument, à commencer par les entreprises elles-mêmes, que les constructeurs automobiles occupent la meilleure place dans leur écosystème pour bien définir les propositions de valeur des offres de mobilité futures.

La mobilité électrique, un terrain de jeu grandissant pour les nouveaux acteurs

De l’autre côté, nous avons la spectaculaire croissance des grandes villes dites « intelligentes » qui force les consommateurs à refuser l’accès à la propriété d’un véhicule et à adopter de nouvelles solutions de mobilité alternatives. Cellesci ne semblent pas favoriser les constructeurs automobiles et suscitent l’intérêt de nouveaux acteurs économiques davantage orientés vers les services. Il s’agit de grosses entreprises et de startups, issues de différents univers et industries, faisant avancer leurs pions pour façonner des écosystèmes « mobilité » nouveaux et élargis. Pour ne citer que les plus connus : Apple, Google et IBM font partie des entreprises ayant une grande expérience et expertise de la technologie numérique et des renseignements commerciaux ; Uber, Autolib et Blablacar sont les concepteurs des activités perturbatrices de covoiturage et d’autopartage ; Tesla, Vinci ou ABB sont les principaux investisseurs dans les infrastructures intelligentes et le réseau de recharge. Tous ces nouveaux acteurs de l’industrie de la mobilité n’ont jamais hésité à signer des alliances stratégiques afin de couvrir toute la chaine de valeur de la mobilité électrique et de s’emparer du marché en offrant des solutions et des services standardisés d’envergure mondiale à leurs clients.

En route vers la naissance d’une industrie

Ces tendances ouvrent la voie à une industrie émergente que Donada et Attias (2015)1 ont appelé l’« Électromobilité 2.0 ». Ce terme ne se limite pas à la production et la création d’un marché pour les véhicules électriques. Il englobe également les aspects associés à la création de batteries performantes et de longue durée, l’intégration « vehicle-to-grid » (V2G), l’offre de services associés en mettant notamment l’accent sur les activités collaboratives (covoiturage et autopartage), l’investissement dans des infrastructures dédiées ou l’adoption de réglementations et de politiques publiques. Travailler sur l’Électromobilité 2.0 équivaut, par conséquent, à travailler sur la mobilité du futur et sur la structuration d’une industrie naissante.

Un chemin tout tracé pour les chercheurs de l’ESSEC

Par l’intermédiaire de la Chaire Armand Peugeot, les chercheurs de l’ESSEC et CentraleSupélec étudient le développement de l’industrie naissante de l’Électromobilité 2.0 avec le soutien de PSA Peugeot Citroën. Lors de la 3e conférence internationale de la Chaire (organisée sur le campus de l’ESSEC à Singapour en décembre 2015), plus de 90 étudiants ont présenté et discuté de certains des principaux défis de la croissance et de la durabilité de l’industrie naissante de l’Électromobilité 2.0 : • Changements dans le comportement des consommateurs et leurs besoins de mobilité, • Changements dans les modèles économiques actuels des constructeurs automobiles, • Nouvelles opportunités et nouveaux concurrents, • Questions relatives à l’intégration au réseau et aux batteries • Demandes relatives à la standardisation, à la réglementation et aux politiques publiques. Les résultats présentés au cours de cette conférence ont soulevé quelques questions stratégiques pressantes pour les constructeurs automobiles : comment les consommateurs évoluent-ils de la possession de véhicule vers l’offre de mobilité ? Quels sont les principaux facteurs et conséquences de cette évolution ? Quel modèle économique l’industrie automobile traditionnelle devrait-elle adopter afin de continuer son développement et assurer son leadership dans le nouvel écosystème de l’Électromobilité 2.0 ? Questions sur lesquelles la chaire Armand Peugeot travaille déjà.

1 Donada C., et Attias D. (2015), « Food for thought: Which organization and governance to boost radical innovation in the Electromobility 2.0 industry? », International Journal of Automotive Technology Management, 15, 2, 105-125.

 

JDE N°78 p1-112

 

Par Carole Donada, professeur au Département Management de l’ESSEC Business School et titulaire de la Chaire Armand Peugeot