Comment former les Digital Natives ?

Les digital natives sont multi-facettes. Ils englobent, entre autres,
• le digital naif qui maitrise empiriquement les usages du numérique
• le no life qui consacre la quasi-totalité de son temps libre aux jeux en réseau
• le geek, adepte du tout technologique et fan de « The Big Bang Theory »
• et le maker-codeur qui exprime sa créativité sur la toile ou dans la conception d’objets.

Pour ces futurs adultes nés depuis 1990, on parle de génération C : C comme Connecté, Cloud, Collaboration, Communication, C comme Créativité. Ils sont nés en même temps que le web, savent gérer vie réelle et vie digitale, pratiquent la communication de masse et les réseaux sociaux, cherchent la simplicité d’usage, sont adaptes du multi-écrans, critiques vis-à-vis des sources d’information et sont connectés en permanence. Une autre de leurs caractéristiques : ils ont toujours vécu dans un monde en crise.

Pour cette génération C, les modes d’apprentissages sont différents. Ils sont à l’aise avec la gestion multi-tâches, les échanges synchrones et asynchrones, mais leur capacité d’attention est limitée et aux longs discours ils préfèrent l’interactivité. Enseigner aux digital natives va donc demander aux enseignants de repenser leur rôle, d’alterner leur posture de sachant et de personne ressource, d’aider les apprenants à rechercher une connaissance accessible en quelques clics tout en développant leur esprit critique, de jouer sur leur capacité à agir en réseau pour développer le travail collectif.

Former la génération C, c’est aussi la préparer à un monde en profonde mutation, à la digitalisation de l’économie, à la naissance de nouveaux secteurs comme la robotique, au vieillissement de la population de l’hémisphère Nord, à la gestion de ressources de plus en plus rares, etc. Nous savons juste que demain sera très vite et très fortement différent. Qui imaginait Facebook ou Google il y a 20 ans ?

Pour les digital natives apprendre signifie aussi acquérir des compétences permettant de développer leur créativité et leur sens critique, de maitriser leur e-leadership,  de communication en réseau pour produire de l’intelligence collective. Ils devront aussi apprendre aussi déléguer l’acquisition et la mémorisation des connaissances au Cloud.

 

Avec le numérique, faut-il s’inquiéter de l’externalisation des savoirs ?
Cette question est en réalité très ancienne puisque Platon nous rapporte, dans Phèdre, que Socrate s’inquiète qu’avec l’écriture l’homme cesse d’exercer sa mémoire et ne puisse plus s’exprimer aussi bien qu’à l’oral. Michel de Montaigne nous dit aussi dans les Essais « Je voudrais aussi qu’on fut soigneux de lui choisir un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine. »
Cette phrase, dont nous ne connaissons souvent que la seconde partie, parle du rôle du précepteur, de l’enseignant. L’Education a su se transformer lors des révolutions de l’écriture puis de l’imprimerie et doit faire de même pour la révolution numérique. L’externalisation des savoirs, cette « part de cerveau libre » dont parle Michel Serres dans Petite Poucette, pose la question de la transformation des modes d’enseignement. Au-delà des connaissances, les enseignants doivent maintenant fournir aux Digital Natives les moyens d’acquérir les compétences nécessaires pour évoluer dans un monde en mutation. Nos établissements d’enseignement doivent eux aussi se transformer afin de proposer des espaces adaptés favorisant le travail collectif, la création digitale et la fabrication d’objets connectés, des lieux de rencontre entre les savoirs, les cultures, la société et l’esprit d’entreprendre.

 

Par Jean-Pierre Berthet
Directeur de la Stratégie Numérique à l’Ecole Centrale de Lyon, Directeur du LearningLab commun à Centrale Lyon et EMLYON Business School
Jean-Pierre.Berthet@ec-lyon.fr