Bizarreries brésiliennes De São Paulo à Bahia, en passant par Rio de Janeiro : voyage poétique d’un esprit francophone.

Rêve d’Enfance / HEC Paris

Claude Lévi-Strauss trouvait le Brésil « bizarre ». Enfin, « bizarre » n’est pas le meilleur qualificatif. « Bizarre », terme connoté négativement, est cependant teinté d’un certain ésotérisme qui allie étonnement et attirance. « Bizarre » n’est qu’un euphémisme déformé. Car c’est un véritable choc culturel que Claude Lévi-Strauss nous confessa dans Tristes Tropiques, l’oeuvre qui raconte son voyage au Brésil. Plus d’un demi-siècle plus tard, le Brésil choque encore. Il émeut. On le trouve bizarre.
«Bizarres, beaux-arts, baisers » allitération sublime, de Ionesco. Le « b », consonne douce, discrète comme un balbutiement, est aussi consonne de beauté et béatitude. « Bizarreries brésiliennes » allitération subtile, dont la musicalité nous transporte, nous borde et nous balance…
Une musicalité de MPB, Música Popular Brasileira (Musique Populaire Brésilienne). Tantôt suave, tantôt dynamique, la MPB est une musique éclectique mais toujours esthétique. C’est une musique urbaine. La nuit tombe à présent sur la ville ; les esprits se réveillent. Le rythme s’accélère. Dans les baladas brésiliennes (boites de nuits), c’est un concert de genres musicaux qui se livre à nous : forró, lambada, samba, sans compter rock, pop, rap, électro… Loin des villes, les pas des danseurs endiablés raisonnent sur la terre rouge brésilienne. Et c’est au rythme des percussions que la poussière vermeille s’élance dans l’atmosphère qui se parfume ; odeur sauvage, odeur de braise, odeur humide d’herbe mouillée. Puis le calme revient. Dans la nuit noire et étoilée, un autochtone saisit son violão. Une main se tend et vous invite à danser la Sertaneja. La Sertaneja c’est comme la valse. Elle se danse au rythme du galop des chevaux, sur trois temps. Bizarre, lorsque l’on sait que les chanteurs de Sertaneja chantent traditionnellement par deux. D’autant plus bizarre, lorsque l’on sait aussi que le violão n’a rien à voir avec le violon de Richard Strauss. C’est la guitare brésilienne qui s’appelle ainsi. « Comme c’est curieux les noms » répondrait Prévert. La Sertaneja, c’est comme la valse, mais en plus rythmé, plus chaleureux et ensoleillé. Un compagnon de la nuit, un peu comme pour attendre le soleil qui maintenant ne tardera plus à se lever.
Le soleil donne naissance à ce que le Brésil offre d’insolite. De cette source, poussent tous ces fruits saugrenus et singuliers dont la surprenante diversité, suspendue à cette richesse de couleurs, d’odeurs et de formes, rassasierait même l’appétit d’Arcimboldo. Si la faim vous envahit et que vous commencez à saliver, changeons de musicalité. Car la nourriture brésilienne n’est pas sèche ; elle est suave, voluptueuse, sensuelle et attachante. Bientôt, vous deviendrez aussi de réels maniaques du manioc et tomberez sous le charme de l’enivrante Caïpirinha, cocktail prisé des baladas branchées des grandes villes brésiliennes et dont le nom signifie – bizarrement – « petite paysanne ».
Le soleil épanouit la nature brésilienne et illumine le coeur des Brésiliens, chaleureux peuple bizarre et attachant. Il faut le reconnaitre, le Brésil ne serait pas aussi beau – ou bizarre – sans ses Brésiliens. Aussi bizarres que barbants, les Brésiliens ont un problème avec le temps. Les Brésiliens, même en retard, ont pourtant énormément de tempérament. Ils ont un caractère bien trempé. A l’image de ces pluies d’été, ces pluies excessives, intenses, brèves et passagères. Les Brésiliens ne prennent pas toujours le temps de vous dire au revoir. Et vient alors la Saudade, un terme sans traduction qui a brillamment glané et condensé les sentiments de nostalgie, de tristesse et de manque. Elle coule, comme les chutes d’Iguaçu, inexorablement
dans nos âmes. Saudade, sentiment personnifié qui accompagne, prend par la main et marche à côté de celui qui la ressent. La Saudade est ce qui remplace ce qui n’est plus là.
Le bizarre est toujours ce qui se veut être critiqué. Cocasse critique. Critiquons quand même cet article. Ces quelques lignes dressent un patchwork naïf et ému des sensations introspectives qu’inspire le Brésil. Mais le Brésil n’est pas une mosaïque organisée de couleurs, d’odeurs, de musiques. Le Brésil est un mélange de sensations indissociables et corrélées. Baudelaire disait que « le beau est toujours bizarre ».
Le Brésil, pays des bizarreries, est ainsi, aussi, le pays des plus belles synesthésies.

 

Sarah-Diane Eck