Deux ans après son élection à la présidence de la Conférence des Présidents d’Université, Jean-Loup Salzmann parvient à la fin de son mandat. L’occasion de dresser un premier bilan sur l’état et la place de l’université française sur la scène nationale et internationale.

Quel regard portez-vous sur l’université française ?
Malgré les difficultés qui touchent nos établissements je garde un regard résolument optimiste sur l’avenir. Il y a dans notre pays une véritable prise de conscience de la société française, d’une part, et des instances publiques d’autre part, du rôle essentiel que joue l’université dans la formation des cadres et des chercheurs. Dans le contexte économique actuel, l’université tient une place de choix parce qu’elle est l’acteur incontournable du redressement économique du pays, par la formation (initiale et tout au long de la vie) et par la recherche qui irrigue nos entreprises.
Quelles actions avez-vous particulièrement menées pour parvenir à cette prise de conscience ?
Nous avons travaillé depuis deux ans sur deux axes forts : les ressources des universités et la nouvelle loi relative à l’Enseignement supérieur et à la recherche promulguée en 2013 qui confirme la politique d’autonomie des universités. Nous avons donc mené un certain nombre d’actions sur ces deux fronts. Nous nous sommes appliqués à placer l’université au coeur des débats de société c’est pourquoi nous avons organisé en moyenne six colloques et débats sociétaux par an portant sur la formation professionnelle mais aussi des sujets d’actualité comme la biodiversité, la transition énergétique. Une de nos missions est la valorisation de l’image de l’université, une image qui ne dit pas toujours la réalité des établissements d’enseignement supérieur, c’est pourquoi nous avons lancé en France le concours international « Ma thèse en 180 secondes ». Il s’agit d’un projet à dimension internationale et francophone visant à populariser les travaux de recherche et mettre en avant leur utilité pour la société d’aujourd’hui. Il s’agit également de faire connaitre les qualités des doctorants et favoriser leur reconnaissance par les entreprises. Nous avons aussi organisé pour la troisième fois l’université d’été de la CPU qui a lieu fin août pendant laquelle nous travaillons sur trois axes : la formation, l’information et la projection des universités vers l’extérieur. C’est dans ce cadre que nous avons pour la première fois proposé aux présidents d’établissements une formation continue pour eux-mêmes et leurs équipes, ces séminaires techniques s’attaquent à des sujets très précis comme la stratégie immobilière, le modèle économique des universités …
Pourtant les budgets stagnent voire régressent
C’est un combat de tous les jours même au niveau européen. La situation économique actuelle réduit les budgets recherche à l’échelle européenne et non uniquement en France. Nous avons craint une amputation de nos budgets de 20 % et finalement il n’en a rien été mais le problème global n’est pas réglé pour autant, il nous faut rester vigilant en permanence. C’est à nous de jouer notre rôle pour témoigner du côté indispensable de l’université à tous les niveaux. Nos dirigeants, qu’ils soient français ou européens devraient s’inspirer de ce qui se passe dans le monde : Les pays en croissance en Asie ou en Amérique sont ceux qui investissent dans la recherche et l’enseignement supérieur. J’ai bien dit investissent et non dépensent
En quoi l’autonomie va-t-elle renforcer la place de l’université…
La loi de juillet 2013 a organisé le regroupement des universités, des grandes écoles et des organismes de recherche sur le territoire afin de replacer l’université française au niveau des standards internationaux et d’en faire l’équivalent des plus grands établissements mondiaux. De cette manière, nous pourrons dialoguer d’égal à égal avec ces structures prestigieuses et en finir avec l’éclatement de la recherche. L’exemple de la fusion des trois universités du pôle Aix-Marseille est éloquent, l’AMU (Aix Marseille Université) est aujourd’hui un acteur incontournable des collectivités territoriales et leur donne même l’exemple. L’autonomie va de plus permettre aux universités de renforcer leurs liens à l’international. Et c’est essentiel. Nous travaillons aujourd’hui en étroite collaboration avec l’EUA (European University Association), l’organisation européenne des universités. Nous nous rencontrons régulièrement pour mettre en place des programmes de recherche internationaux et d’échange pour les étudiants.
… et favoriser l’employabilité des étudiants ?
Aujourd’hui, l’idée reçue comme quoi l’université ne préparerait pas suffisamment au marché du travail occupe toujours les esprits. Cette critique était vraie il y a vingt ans mais les universités en ont pris conscience et depuis une bonne dizaine d’année ont rattrapé leur retard. Aujourd’hui les taux d’insertion de nos étudiants de Master (et les salaires de sortie) n’ont rien a envier des écoles les plus prestigieuses. Nos différents projets et initiatives se concentrent sur ce point essentiel qu’est l’insertion professionnelle. En licence, les étudiants ont désormais un projet personnel professionnalisant à réaliser. Nous avons fortement développé les stages. De plus en plus de professionnels également interviennent à l’université. Certes, la part de cours dispensés par ces professionnels du monde de l’entreprise et par les enseignants diffère selon les cursus mais toutes nos formations sont professionnalisantes. Nous avons fait notre révolution culturelle et les efforts des établissements portent leurs fruits puisqu’aujourd’hui, au niveau master, l’insertion professionnelle à trois ans est supérieure à 90 %… La CPU entretient de bonnes relations avec le MEDEF et avec les entrepreneurs et c’est à nous de faire encore mieux connaitre l’université et les qualités de nos diplômés.
Quel rêve avez-vous pour l’université de demain ?
La France possède sur chacun de ses territoires des universités dotées de véritables campus, autonomes qui proposent un enseignement, adossé a une recherche de pointe, à la fois de proximité et de qualité. Mon rêve serait qu’elles soient suffisamment puissantes financièrement pour déployer une attractivité incontournable, et devenir systématiquement sources de rayonnement à l’international à l’image des universités américaines ou des pays émergents. Elles doivent s’imposer et pour ce faire, elles doivent avoir la maîtrise totale de leur budget, de leurs ressources humaines et de leur immobilier tout en se donnant les moyens de leurs ambitions. Nous devons tendre vers une autonomie complète, exprimer pleinement notre capacité stratégique avec notamment le transfert des compétences en matière de ressources humaines, c’est capital pour les universités. Toutefois, cela ne se fait pas du jour au lendemain. De nombreux liens – culturels, historiques, politiques… – freinent encore son développement. L’université française aujourd’hui, c’est un peu comme Gulliver retenu par les liens minuscules. Chacun d’entre eux est si ténu qu’on le brise facilement, c’est leur multiplicité qui nous entrave. Ligotée de toutes parts notre université ne peut exprimer pleinement ses capacités.
Cap sur l’international
Peu le savent mais la France est le troisième pays au monde en termes d’attractivité des étudiants. Nous accueillons plus de chercheurs étrangers que nous n’envoyons d’étudiants français à l’étranger. Et c’est dommage car nos chercheurs doivent partir à l’étranger. C’est essentiel dans leur cursus. Ils sont d’excellents ambassadeurs de la culture française et de la qualité de notre formation. Sans oublier que, comme le dit le proverbe : « les voyages forment la jeunesse ». Nous devrions envoyer plus d’enseignants et de chercheurs à l’étranger. Au Moyen-Âge, lorsque les premières universités se sont créées, leur enseignement dépassait les frontières. Les étudiants étrangers affluaient, entre autres, à la Sorbonne. L’université de la recherche, c’est celle du monde !
Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes ?
Toutes les enquêtes démontrent que plus on effectue d’années d’études après le Bac, plus rapidement on trouve du travail et plus les salaires d’embauche sont élevés. Les universités françaises forment chaque année 1,5 millions d’étudiants, on s’y forme en y apprenant un métier, en rencontrant des professionnels et on s’y épanouit personnellement car l’université est avant tout un lieu qui n’altère pas la personnalité, bien au contraire c’est à l’université qu’on développe sa créativité et son adaptabilité à un monde qui bouge sans cesse.
Jean-Loup Salzmann est réélu président de la CPU
A 55 voix contre 32, la liste conduite par Jean-Loup Salzmann, président de l’université Paris 13, a été réélue à la tête de la Conférence des présidents d’université en séance plénière, le 18 décembre 2014. Gérard Blanchard, président de l’université de la Rochelle et Khaled Bouabdallah, président de l’université Jean-Monnet Saint-Etienne ont été réélus viceprésidents. C’était la première fois qu’un bureau briguait un deuxième mandat. Les présidents des sept commissions et le conseil d’administration ont eux aussi été élus.
VC