Le Web 2.0, appelé également médias sociaux ou participatifs, continue sa progression insolente non seulement en nombre d’utilisateurs (aussi bien au foyer qu’en entreprise), mais également en types de technologie d’utilisation. Il permet la génération du contenu par les cybernautes (User Generated Content, UGC) et les échanges entre pairs (Peer-to-Peer, P2P). En 2006, Time Magazine a élu les internautes « personnalité de l’année ».
Le Web 2.0 n’a pas moins bouleversé les pratiques des entreprises par menaces et opportunités. La menace vient du fait que l’entreprise n’a plus le control du processus de l’information, de la création à la diffusion. Elle est par contre désormais jugée, valorisée ou discréditée directement par les cybernautes à la différence de l’ancien modèle où Le cas de la marque « Kit Kat » de Nestlé illustre parfaitement cette nouvelle donne sur Internet. En mars 2010, Greenpeace explique que la production de l’huile de palme pour les barres chocolatées « Kit Kat » de Nestlé nuirait à l’environnement des Orang-Outang et des communautés locales. L’annonce est massivement relayée et commentée par cybernautes sur la page Facebook de la marque. Nestlé ferme sa page pendant deux jours et revient pour présenter ses excuses et faire la promesse des actions correctrices. Tout n’est toutefois pas menace. Le Web 2.0 peut également offrir des opportunités aux entreprises par le fait de faciliter le travail en groupe entre collaborateurs, partenaires et clients à grande échelle (Tapscott 2007, Gillin 2007). C’est ainsi que la Cadbury a connu un succès inégalé. En 2008, plusieurs cybernautes s’allient sur Facebook et réclament la remise sur le marché de la barre chocolatée Wispa, retirée du marché dans les années 1990. Les fans font ainsi beaucoup gagner à Cadbury pour la déclaration de la demande, l’identification du produit et la détermination du moment du lancement. Cadbury relance la production et informe de la disponibilité du produit sur le marché en partie sur cette même page Facebook. En moins d’un semestre de commercialisation, 41 millions d’exemplaires sont vendus.
Web 2.0 et stratégie d’entreprise
Toutefois, même si les entreprises continuent d’investir massivement dans les principauxmédias Web 2.0, force est de constater que leurs engagements dans cet univers reste encore expérimentale faute d’un cadre de référence théorique et pratique. Comment faut-il alors penser le Web 2.0 dans la stratégie d’entreprise ? Nous nous proposons d’y apporter quelques éléments de réponse. Pour ce faire, nous étudions dans un premier temps l’évolution du média et l’apparition du Web 2.0. Puis, nous passons en revue les différentes typologies des classifications des médias. Nous proposons finalement qui typologie pour faciliter la mise en pratique des stratégies marketing dans les médias Web 2.0.
Du médium aux médias sociaux Web 2.0.
Pour bien comprendre l’importance historique du Web 2.0, il convient de comprendre l’histoire des médias. Etymologiquement parlant, la forme latine donne médium au singulier et média au pluriel. Toutefois, la forme populaire préfère média au singulier et médias en pluriel. Nous adoptons ici les formes populaires. En tant que moyen de transmission et de restitution des messages, les médias relient donc toujours les hommes entre eux. A ce titre, les tam-tams et les signaux de fumées peuvent être considérés comme les pionniers des médias. L’invention de l’écriture bascule l’humanité de la préhistoire à l’histoire. L’imprimerie créée par Gutenberg au XVème siècle facilite l’émergence de la modernité. S’y ajoutent progressivement la presse, la radio, la télévision, le cinéma, l’affichage, le téléphone et Internet. Avec Internet, l’univers des médias fait un grand saut en avant. A ses débuts, internet comporte des pages web statiques. Le web le rend dynamique. Le multimédia d’Internet se développe considérablement avec la numérisation, la compression et la transmission des messages. Il regroupe les médias de messages texte, son (la voix off, la parole, les bruitages, les sonorisations d’ambiance, la musique) et image (la couleur le noir et blanc, les photos, les diapositives, les graphismes et les animations). L’hypertexte est un document qui contient des hyperliens permettant de passer automatiquement d’un document à un autre ; et l’hypermedia désigne l’accès simultané à des données textes, images et sons sur un même support. Le « Rich media » (ou média enrichi) désigne les messages qui incorporent une logique d’animation visuelle ou sonore. S’y ajoute la capacité d’interactivité des interfaces qui permet à l’utilisateur de dialoguer avec les différents vecteurs de diffusion de l’information. Toutefois, le Web 1.0, comme son ancêtre le média classique, ne favorise que la communication verticale descendante du haut vers le bas, et réserve aux entreprises le contrôle des messages. L’apparition du web 2.0 vers 2003 change progressivement la donne. Le terme Web 2.0 serait introduit lors d’une conférence de brainstorming animée par Date Dougherty et Tim O’Reilly, fondateurs de l’agence américaine O’Reilly Media (O’Reilly, 2005). Il désigne les interfaces qui permettant aux cybernautes d’interagir à la fois avec le contenu des pages mais aussi entre eux. Le paradigme linéaire «émetteur-récepteur-rétrospection donne lieu à une communication sphérique où les cybernautes peuvent s’exprimer et partager leurs avis à tout moment et sans tabou. En permettant à tout un chacun de prendre directement la parole, le Web 2.0 devient social. Les termes réseau social ou encore médias sociaux deviennent populaires à partir de 2007. Sur Internet, le social connote aussi bien les aspects sociologiques que technologiques. Barnes (1954) serait le premier à employer le terme de réseau social (social network) dans les recherches académiques. Il définit un réseau social comme un ensemble d’individus ou d’organisations reliées entre eux par des interactions sociales. Wasserman et Faust (1994) définissent également un réseau social comme un ensemble de relations entre des entités sociales. Sur Internet, un réseau social est un service qui permet aux utilisateurs d’être reliés entre eux, constituer les communautés et échanger. Dans cet état des choses, un véritable contrepouvoir citoyen émerge avec les médias sociaux face aux pouvoirs des institutions (économiques, politiques, etc.) conventionnelles. Les cybernautes commentent les offres commerciales, affichent leurs opinions et échangent librement leurs expériences. Ils deviennent ainsi les influenceurs dans le processus d’achat. Les entreprises perdent même le contrôle qu’elles exerçaient sur la conception de leurs produits. Les sociétés de service informatique sont ainsi irrémédiablement concurrencées par les réseaux sociaux de « open source » et de « free share ». Dans cette perspective, les responsables marketing ne doivent pas se contenter de communiquer avec les clients, mais également mettre à leur disposition des espaces appropriés pour faciliter les échanges et la diffusion du bouche à oreille digital (Godin, 2001). Et, si les entreprises ne s’y mettent pas, d’autres sites s’en occuperaient. Les sites comme Epinions.com, InsiderPages et Yelp permettent aux consommateurs de s’exprimer sur toutes les catégories de produit et service ; d’autres sites se spécialisent : questions de femme (AuFéminin), voyage-hôtel-restaurant (Airlinequality.com, IgoUgo.com, TripAdvisor.com). Il existe également des sites qui permettent aux cybernautes de protester contre les firmes et marques : Aircomplane.com, Exxposeexxon.com, IkeaSuckz.blogspot.com.
Typologie des médias classiques et Web 2.0.
Plusieurs critères sont envisagés pour classifier les médias conventionnels : les modes d’émission, le degré d’indépendance de l’utilisation, les modes sensoriels de réception (voir, entendre, sentir toucher, goûter), les cibles, les modèles économiques, etc. Par les modes de diffusion, on peut distinguer les médias qui transmettent à sens unique (radio, télévision, etc.) et les médias à double sens qui permettent une relation simultanée entre individus (téléphone ou groupes de discussion sur Internet). En ce qui concerne le degré d’indépendance de l’utilisation, les médias autonomes dont l’utilisation ne requiert pas le raccordement à un réseau (journaux et disques) se distinguent des médias de réseau qui nécessite l’accordement de l’utilisateur. En fonction des utilisateurs et des cibles, Jean Cloutier (1973) distingue trois types de médias : 1) les médias de masse qui diffusent des messages auprès d’un public indifférencié (mass-médias) ; 2) les médias de groupe qui proposent des messages à une cible plus limité comme le rétroprojecteur utilisé en classe ou le journal d’entreprise destiné uniquement aux salariés d’une entreprise et finalement 3) les médias personnels ou individuels du type du lecteur laser ou de l’appareil photographique (self-média). La classification économique des médias est proposée par Bernard Miège (2004) :
1) les médias éditoriaux (livres, films, etc.) dont les recettes proviennent de la vente de ces produits ;
2) les médias de flot (radio, télévision, etc.) qui génèrent les revenues par la vente de l’audience aux annonceurs publicitaires et finalement ;
3) les médias mixtes dont la logique économique
est une combinaison des deux modèles de base (la presse dont les gains issus aussi bien de la publicité que de la vente du journal). A ces classifications, s’ajoute une autre qui divise les médias en fonction de leur potentiel publicitaire. On trouve ainsi les médias classiques, « above the line » en anglais, tels que la télévision, la presse, la radio, l’affichage, le cinéma ; et les « hors médias », intitulé abusif , ou « below the line » qui regroupe le publipostage, la promotion, le marchandisage, la stimulation des équipes de vente, la publicité sur le lieu de vente (PLV), les exposition-foires-salons, les mécénat-parrainage, la marketing téléphonique, la télématique ; les relations publiques dont les relations presse. En comparaison avec les médias classiques, quelles typologies sont proposées pour les médias sociaux Web 2.0 ? Cavazza (2009) propose une cartographie des médias sociaux en fonction de leurs usages, tels que l’expression ; le partage (échange des fichiers) ; le recentrage (mise en relation) et les jeux. De cette cartographie résulte 8 catégories des réseaux sociaux : les outils de publication, les outils de partage, les outils de discussion, les réseaux sociaux généralistes, les outils de micropublication, les plateformes de livecast, les univers virtuels et finalement les plateformes de jeux. Une autre typologie classe les sites Web en fonction de l’importance de l’information qu’ils fournissent aux processus d’achat des clients (Enjeux du Commerce en ligne, TNS Sofres, Salon E-Marketing, Janvier 2010). Cette typologie comprend les réseaux sociaux, les micro-blogs, les portails, etc. sont fréquentés pour une première étape de recherche d’information ; les forums et les commentaires clients sont consultés pour affiner ses recherches et ses opinions ; et finalement les moteurs de recherche, les sites d’enchère, de géolocalisation et du fabricant sont visités pour préparer l’achat. Il est intéressant et révélateur de noter que les cybernautes se tournent en priorité vers l’information qui est générée par leurs pairs et ne sollicitent l’entreprise qu’en dernière instance. McKinsey & Company a identifié en 2009 douze types d’outils et de sites Web 2.0. Deux ans auparavant, cette liste n’en contenait que neuf, c’est dire que les possibilités de contenu n’ont pas fini de s’étendre et se développer. Malgré leur grand intérêt analytique, les typologies sont plutôt bâties sur le modèle des médias classiques. Or, nous proposons une typologie qui prend acte du trait fondateur du Web 2.0, c’est-à-dire la communication et l’interaction directes entre pairs sans être obligés de passer par les hubs centralisateurs. Cette typologie Web 2.0 distingue quatre types d’interaction qui peuvent être établies entre pairs : transaction (eBay), émission ou casting (YouTube), réseautage (LinkedIn) et partage ou file sharing (FreeNet, Gnutella). Il est évident que certains médias sociaux peuvent remplir plusieurs rôles. Par exemple, Facebook peut être à la fois un média d’émission et de réseautage.
Le Web 2.0 en entreprise et en marketing.
Ces quatre types des médias Web 2.0 impactent considérablement l’écosystème du produit et les autres éléments du marketingmix. Politique de produit et innovation. Les opinions postées sur les médias sociaux de réseautage et de socialisation constituent une source inépuisable d’informations pour améliorer les produits et même innover. La participation des cybernautes à ce processus d’amélioration ou d’innovation peut être passive ou active. La participation passive est la collecte et le traitement de ces opinions librement exprimées afin d’en dégager les tendances et les préférences. En effet, les consommateurs qui s’expriment dans les médias sociaux font connaitre par de même leurs intentions. Searls (2006) appelle ce phénomène « économie d’intention ». Aussi, par le fait d’analyser les opinons exprimées dans les médias sociaux, les entreprises peuvent connaitre les intentions d’achats des clients et d’affiner leurs offres. La participation peut également être active par le fait du processus appelé collaboration de masse, mass collaboration (Tapscott et Williams, 2007) ou crowdsourcing (Howe, Robinson, 2006). La force motrice de ces concepts reste la même : mettre en relation les individus et entretenir l’interaction entre eux pour créer un cerveau géant dans l’objectif de la conception des produits et services dont ils deviendraient du même coup les acheteurs. Citons le cas Linux, mis en place par des particuliers-experts qui apportent une double plus-value du fait de leur double statut d’experts et de consommateurs. La participation active du cybernaute va bien évidemment au-delà des outils qui permettent la personnalisation des produits sur les sites web tels que Nike et Dell. Grace à la participation active de ses amis Facebook par vote et commentaire en mars 2010, Coca Cola a redéfinit sa boisson Vitamin’Water. Les sites comme « My Major Company » peuvent même faciliter le financement des nouveaux produits. L’exemple à succès est le chanteur Grégoire.
La création des campagnes de communication.
Plus de la moitié de la communication publicitaire sur Internet se répartit entre les bandeaux publicitaires et les méta-publicités des moteurs de recherche. Une nouvelle catégorie publicitaire commence à prendre forme surtout sur les réseaux sociaux de socialisation et de diffusion. Les marques Ducati, L’Oréal et Doritos aux États- Unis se sont inspirées de leurs communautés de visiteurs en ligne pour bâtir et relayer leurs communications et campagnes publicitaires. Les entreprises peuvent même encourager le bouche à oreille et donc les recommandations avec les fans qui relayeraient les messages auprès de leurs pairs grâce au « Retweet » de Twitter ou « Facebook connect ».
La politique de fidélité et le CRM (customer relationship management). Les technologies Web 2.0 permettent facilement la mise en place Les marques créent des pages « personnelles » sur les réseaux tels que MySapce et Facebook, acceptent la « demande d’entrée » des individus, interagissent et nouent des liens sociaux avec eux. La société Warner Brothers avait créé une page pour le film « 300 » à propos des spartiates. 200,000 amis ont visité la page discuté le film avant sa sortie en salle et en DVD. À cet égard, les entreprises peuvent développer des plateformes communautaires pour inciter le cybernaute à s’exprimer directement sur le terrain de l’entreprise. L’avantage principale pour l’entreprise si ses clients ou prospects privilégient ces espaces, est qu’elle sera la première avertie des attitudes et opinions des marchés cibles. Pour ses marques Allways, Alldays et Tampax, Procter&Gamble dédie le site web LeCoinDes- Filles aux jeunes filles afin de dédramatiser et rendre ludique le sujet de la puberté, de l’entreprise. Les jeunes filles entrent en relation entre elles grâce à un système de chat pour échanger et aussi librement poser leurs questions à un expert de la marque.
Références
Barnes, John (1954). «Class and Committees in a Norwegian Island Parish.» Human Relations, (7): 39-58. Cazzava Fred (2009), Une nouvelle version du panorama des médias sociaux, Avril 2009, accessible au www.fredcavazza.net/2009/04/0 /une-nouvelleversion- du-panorama-des-medias-sociaux. Cloutier Jean, (1973), La communication audio-scripto-visuelle à l’heure du self media ou l’ère d’Emerec, Les Presses de l’Université de Montréal. Gillin Paul (2007). The New Influencers: A Marketer’s Guide to the New Social Media. Quill driver BooksMontréal, Godin S. (2001), Unleashing the Ideavirus, Hyperion; Reprint edition. Howe J., Robinson M. (2006), The rise of crowdsourcing, Wired Magazine, June, N° 14.06. Accessible au http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http:// www.wired.com/wired/archive/14.06/crowds.html&title=The%20Rise%20of% 20Crowdsourcing Miège Bernard (2004), L’Économie politique de la communication, HERMÈS – Numéro 38 , Les Sciences de l’information et de la communication. Savoirs et pouvoirs, Accessible au http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/9423. O’Reilly, Time (2005). What Is Web 2.0. Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software, September 30. Accessible au www.oreillynet.com/pub/a/oreilly/tim/news/2005/09/30/what-is-web-20.html. Searls Doc (2006). The Intention Economy, March 8th, Published on Linux Journal, www.linuxjournal.com Tapscott Don, Anthony D. Williams (2007). Wikinomics : How masscollaboration changes everything, Portfolio. Pour la traduction en français: Wikinomics – La collaboration intelligente au service de l’économie, éd. Village mondial. Wasserman, Stanley, Katherine Faust (1994), Social Network Analysis: Methods and Applications. New York: Cambridge University Press. Pour aller plus loin La société Sysomos analyse des médias sociaux et publie les rapports, les documents et les études de cas utiles pour la définition des politiques dans les médias sociaux sur Internet.
Par Djamchid Assadi
Professeur-chercheur
au Groupe ESC Dijon Bourgogne