Spécial Handicap
Des infrastructures réparties au sein de 5 bâtiments différents qui accueillent plusieurs milliers d’étudiants chaque jour et pour y accéder, des petites rues bordées de trottoirs étroits : l’accessibilité à Sciences Po n’est pas toujours évidente pour les élèves en situation de handicap. « Me repérer dans les locaux, ça, j’ai très vite appris. (…) Le plus compliqué, c’est la gestion de la foule » explique ainsi Augustin Deney, qui est en master RH et déficient visuellement. Consciente de l’existence de ces obstacles au bon déroulement de la scolarité des élèves handicapés, l’administration de Sciences Po a lancé en 2008 son programme Sciences Po Accessible.
« Le handicap, c’est une question de volonté et d’écoute »
Inscrit dans une politique plus générale de diversité, le programme Sciences Po Accessible s’est donné trois objectifs à atteindre :
1. Encourager les lycéens handicapés à poursuivre des études dans l’enseignement supérieur et plus particulièrement à Sciences Po
2. Garantir aux élèves en situation de handicap des conditions d’études optimales
3. Leur proposer un accompagnement sur mesure, de l’admission à l’insertion professionnelle.
Près de 4 ans plus tard, les résultats sont là.
Côté partenaires, Judith Azema, chargée de mission relations entreprises, explique qu’elles ne sont plus seulement une demi-douzaine comme au lancement du programme, mais désormais 13 entreprises à soutenir et financer le programme Sciences Po Accessible, parmi lesquelles on trouve entre autres Thalès, la Société générale, Axa private equity, EDF ou encore SFR.
Côté étudiants, Claire Secondé, responsable de l’aide sociale et du handicap, nous livre avec une satisfaction manifeste et sincère le nombre d’élèves de l’école en situation de handicap. De 15 en 2007, ils sont désormais passés à 70 aujourd’hui (97 si l’on compte ceux qui souffrent de maladies invalidantes). « Sciences po s’apprête à dépasser l’objectif des 100 qu’elle s’était fixé et elle ne le fait pas à marche forcée » déclarait, lors du forum Sciences Po Entreprises, Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale.
Selon Judith Azema, « les résultats sont là aujourd’hui même si en chiffres absolus ce n’est pas encore extra (…) Il faut qu’on accueille de plus en plus d’étudiants et plus il y en aura plus ça se saura. » Du point de vue des chiffres, le travail est loin d’être fini, et l’école aimerait atteindre un quota de 150 élèves handicapés pour l’année 2013. Du point de vue du suivi des élèves en revanche, le bilan semble très satisfaisant. « Pour l’instant, je n’en vois pas qui abandonnent, je les vois évoluer dans le cursus » remarque Claire Secondé, avant d’ajouter, avec un sourire, qu’elle est « en admiration devant ces étudiants parce que le rythme est difficile ». Mais derrière les résultats atteints à l’aube de 2012, l’important réside dans cette volonté de changer les choses qu’ils évoquent tous : administration, élèves et politiques.
« Sciences Po a toujours été très attentif au handicap » Augustin Deney
« Tous les handicaps sont représentés à Sciences po » Judith Azema
« Sciences Po s’est lancée depuis longtemps maintenant avec une volonté farouche dans étudiants handicapés, (…) avec une véritable volonté de mise en relation des emplois et des étudiants » Marie-Anne Montchamp
« Le handicap c’est une question de volonté et d’écoute » Claire Secondé
Accessibilité, accompagnement, sensibilisation
Sciences Po Accessible passe par l’application de trois grands types de mesures :
1. L’accessibilité : postes informatiques adaptés, installation de boucles magnétiques dans l’ensemble des amphithéâtres et salles de cours, acquisition du mobilier adapté, bourses de mobilité internationales, mise en place d’une salle Braille dans la bibliothèque dotée de liseuses automatiques, d’un vidéo-agrandisseur, d’ordinateurs munis de loupes et de logiciels de synthèse vocale, etc. Par ailleurs, le forum Sciences Po Entreprises en octobre 2011 avait été aménagé de façon à être particulièrement accessible. Pour ce faire, l’association ADITUS dont le délégué général Jérémie Boroy est un ancien diplômé de l’école lui-même en situation de handicap, avait mis en place ce jour-là toute une série de dispositifs spécifiques : installation d’une boucle magnétique pour une meilleure réception du son par les étudiants sourds ou malentendants appareillés, retranscription sous-titrée en temps réel des tables rondes, interprétation des débats en Langue des Signes Française, accompagnement dans le petit amphi des étudiants se déplaçant en fauteuil roulant, etc.
2. L’accompagnement individualisé : « Il y a un soutien humain qui est incroyable » s’exclame Augustin, en faisant référence à tous ceux qui, à Sciences Po, oeuvrent au quotidien pour rendre la scolarité des étudiants en situation de handicap plus évidente. Qui sont-ils ? Les vacataires, les assistants de vie universitaire qui doivent être à la fois sensibilisés au handicap et capables de suivre la scolarité à Sciences Po, les lecteurs accompagnateurs et enfin, dans chaque direction de Sciences Po, un référent handicap. « Le gros effort c’est de recruter les vacataires qui vont aider pour les cours, les examens, la bibliothèque » confesse Judith Azema.
3. La sensibilisation : Pour Judith Azema, l’augmentation du nombre d’étudiants handicapés s’explique directement par le travail de sensibilisation qui a été fait dans les lycées, afin de faire savoir aux jeunes élèves la possibilité d’étudier à Sciences Po malgré un handicap. « Le message est passé » déclare-t-elle. Malgré ce plan d’action commun, gérer le handicap à Sciences Po suppose de s’adapter à chaque élève. « C’est au cas par cas. On fait de la dentelle. On respecte l’histoire de l’étudiant. On fait en sorte qu’il soit autonome. » précise Claire Secondé.
« On a encore plein de choses à faire »
Depuis 2008, de grandes avancées ont été faites. Grandes certes, mais pas encore suffisantes. Il reste des petits détails qui pourraient être améliorés. Augustin remarque ainsi le manque de clarté des informations sur les panneaux lorsqu’il s’agit de trouver les salles. Pour faciliter l’orientation des étudiants malvoyants comme lui, il faudrait selon lui choisir des couleurs qui contrastent davantage. De gros projets d’aménagement des bâtiments sont également en cours. Claire Secondé a par ailleurs en tête d’autres idées : l’audio-description des cours pour les élèves malentendants, l’installation de bornes à toutes les entrées pour ceux qui sont malvoyants,… Un problème qui se pose toutefois dans l’application de toutes ces mesures, c’est la difficulté à concilier tous les handicaps : alors qu’un étudiant en fauteuil roulant aurait besoin d’un espace dégagé pour pouvoir se déplacer librement, celui qui est aveugle préférera, lui, l’existence de reliefs ou de supports sur les murs auxquels il peut s’accrocher et qui lui permettent de se repérer. Par ailleurs, comme toute politique de diversité et de discrimination sociale, celle-ci, qui se focalise sur la question du handicap, risque à tout instant de basculer de la sensibilisation à la stigmatisation. « A trop mettre en avant le handicap, la personne handicapée est vue comme différente » met en garde Augustin pour conclure.
Claire Bouleau
Twitter @ClaireBouleau