Les noces entre RH et numérique ont profondément transformé les pratiques de recrutement avant de toucher de plus en plus le contrôle des comportements humains. C’est en effet le cœur des RH puisque tout salaire mérite travail… Y a-t-il un risque de déshumanisation, pour autant que les RH aient été très humanisées avant le numérique ? La référence aux trois théorèmes du marteau permet de se faire une opinion sur la question.
Premier théorème : quand on se tape sur les doigts avec un marteau, ce n’est pas de la faute du marteau.
On ne peut pas reprocher au numérique de déshumaniser les RH. Premièrement parce qu’on n’a pas attendu les outils numériques pour le faire et deuxièmement, parce que les outils ne font rien d’eux-mêmes, et tout dépend de la manière de s’en servir. On assiste aujourd’hui à un développement forcené du « néo-taylorisme » dans de nombreuses activités, quand on s’affranchit de la dépendance vis-à-vis des bipèdes pour générer de la performance. Cela n’a rien à voir avec le numérique, et le numérique ne fera jamais que procurer des moyens supplémentaires pour y parvenir. Avec un peu d’optimisme, on peut penser qu’au stade de la séduction pour de nouveaux outils succédera, comme toujours, celui de l’appropriation, quand on revient à un peu plus de sagesse, guidée par les besoins réels de l’activité. Avec une once de pessimisme, on est obligé de reconnaître que si le numérique remplace les relations humaines – par exemple quand de jeunes parents promènent leurs enfants dans des poussettes certes sécurisées, mais en regardant leur smartphone plutôt que de leur parler -, il n’y a aucune raison pour que les RH s’humanisent avec le numérique.
Deuxième théorème : quand on a un marteau, tout problème a tendance à devenir un clou.
Si le numérique a incontestablement révolutionné les pratiques du recrutement et avec souvent beaucoup d’efficacité, le risque existe de vouloir tout traiter avec les mêmes outils dont les vendeurs excellent à multiplier les usages plus ou moins indispensables, plus ou moins pervers au sens où ils peuvent détourner de la vraie exigence des ressources humaines. C’est le syndrome de la machine à laver : il est tellement difficile de résister à l’opportunité de vingt-quatre programmes de lavage… quand on n’en utilise jamais que deux… La sophistication technique des outils séduit, on a toujours envie de plus et de mieux : mais en a-t-on vraiment besoin, et pour faire quoi ? Est-ce que les outils numériques améliorent la capacité de compréhension et de relation entre les personnes ou permettent-ils au contraire de les éluder ?
Troisième théorème : quand on se tape sur la tête avec un marteau, c’est un grand soulagement quand ça s’arrête.
Comme pour tous les outils, le trop est l’ennemi du bien. A trop se laisser dominer par les outils, on en vient un jour à les écarter pour en revenir aux modes d’action plus terre-à-terre mais plus pertinents. C’est le cas de cette entreprise qui avait développé des outils sophistiqués de diagnostic des personnes et des compétences, dans le cadre de référentiels pointus et de démarches de suivi implacables : quand venait le moment de prendre une décision importante, de promotion ou de nomination par exemple, tout le monde était d’accord pour laisser les outils sophistiqués de côté pour en revenir à une approche de discussion au fond, peu numérique mais plus efficace afin de prendre sérieusement la décision.
Avant d’avoir un problème avec le numérique, les RH ont surtout le problème de sens de leur mission, de reconnaissance dans l’entreprise et de détermination de leurs acteurs.
Par Maurice Thévenet, Professeur à Essec Business School, Titulaire de la Chaire ICP-ESSEC Entreprises et Bien Commun