Le point commun entre la capture du CO2, la libération contrôlée de médicaments et la détection des composés organovolatils ? L’utilisation et la synthétisation de molécules dont l’Institut des Matériaux Poreux de Paris en a fait sa spécialité. L’Université PSL nous a ouvert les portes de ce laboratoire universitaire unique en son genre.
En plein cœur du Quartier latin, dans le 5e arrondissement de Paris, se cache l’Institut des Matériaux Poreux de Paris (IMAP) de l’Université PSL. Véritable fabrique à « éponges moléculaires », ce laboratoire, créé fin 2016, est spécialisé dans la fabrication de solides poreux synthétiques. « Il existe des solides poreux commercialisés, comme les charbons actifs, les zéolites ou les argiles. Notre activité se concentre sur des matériaux hybrides ordonnés, avec une partie minérale et une partie organique, qui vont permettre de capturer ou de séparer des molécules de petites tailles comme le CO2 ou l’hydrogène » présente Christian Serre, son directeur, en parcourant les couloirs vermillon du département de Chimie de l’ENS-PSL. Direction le laboratoire de synthèse principal où stagiaires, doctorants et post-doctorants jonglent entre les paillasses. Ici, gants, blouses et lunettes sont de mise pour travailler sur la synthèse exploratoire à l’aide de ballons et chauffe-ballons, fioles et béchers. Fer, sels d’aluminium, magnésium ou encore terres rares, « il s’agit d’une chimie très vaste où presque tous les éléments du tableau périodique peuvent être utilisés » renchérit Christian Serre. Les combinaisons sont donc quasiment infinies et les applications nombreuses. « Nous développons des matériaux qui capturent les polluants de l’air comme le formaldéhyde, des matériaux qui dégradent les oxydes d’azote de l’air intérieur, d’autres qui sont très bons pour absorber l’eau et déshumidifier ou encore pour faire de la libération contrôlée de médicaments. Même si, dans ce cas de figure, il faut des matériaux qui se dégradent en condition biologique et qui ne soient pas toxiques pour le corps humain » énumère-t-il.
Du matériau poreux au dispositif médical
La chimie au service de la biologie, c’est d’ailleurs la spécialité de Mathilde Lepoitevin (ENS-PSL), une des sept enseignants-chercheurs ou chercheurs permanents du laboratoire. A la tête d’une petite équipe internationale, elle travaille actuellement sur le développement « de matériaux biocompatibles à base de fer ou de zirconium et de ligands organiques qui peuvent se dégrader facilement dans le corps » détaille-t-elle. L’objet de ses recherches ? La fabrication de patchs antibactériens biorésorbables, « des pansements qui peuvent tuer les bactéries multirésistantes comme le staphylocoque doré. Pour cela, nous collaborons avec le Dr. Anne Jamet de l’hôpital Necker depuis un an et demi, car les hôpitaux ont de nombreuses bactéries qu’ils n’arrivent pas à éradiquer » ajoute la chercheuse. Sur sa paillasse sont disposés des petits moules en silicone accompagnés d’un flacon gradué rempli d’un liquide ocre. « C’est un projet à la fois de recherche et d’ingénierie car une fois que nous avons notre matériau – qui est orangé car il contient du fer – nous devons fabriquer les moules qui serviront à la mise en forme des patchs. » Le dispositif sera ensuite testé en salle de culture cellulaire, un espace destiné à vérifier que les principes actifs sont supportés par des cellules saines et efficaces sur les bactéries, avant de passer sur des applications animales, puis sur des patients. Un processus au très long court.
Dans le laboratoire universitaire, la recherche en conditions vertes
Si l’aspect de synthèse exploratoire est important, l’IMAP a également les moyens de passer à l’échelle grâce à une partie du laboratoire située dans les nouveaux locaux de l’ESPCI Paris-PSL, où un blanc immaculé a remplacé l’orange des couloirs de l’ENS-PSL. « Au départ, nous travaillons sur des matériaux à l’échelle d’une centaine de milligrammes. Nous sélectionnons ceux qui nous paraissent les plus intéressants – quelques-uns par an, pour les mettre à l’échelle préindustrielle entre la centaine de grammes et le kilogramme. Et ce, toujours avec un effort de synthèse focalisé sur les solides qui peuvent être fabriqués en conditions vertes » insiste Christian Serre. Par conditions vertes, comprendre une conception plus optimisée et écoresponsable, avec une dépense énergétique aussi réduite que possible. Pour cela, l’IMAP a fait l’acquisition d’un imposant réacteur de 30 litres, capable de synthétiser un kilo de matériau en poudre, ensuite « mise en forme car elle ne peut pas être utilisée comme telle. Il faut en faire des billes, des revêtements ou encore des membranes de papier, ce qui nous permet de collaborer avec des industriels ou des startups » illustre Farid Nouar, ingénieur de recherche CNRS à l’IMAP.
Une grande liberté d’action
Des bandelettes en papier, c’est d’ailleurs le modèle choisi par Christian Serre et Farid Nouar, également cofondateurs de la startup Squair-Tech, pour mettre en forme des matériaux capables de capturer les polluants de l’air intérieur comme le formaldéhyde, « une substance présente dans les résines ou les peintures, qui pose un problème majeur pour la qualité de l’air intérieur car elle peut avoir des conséquences très toxiques sur la santé » abonde le directeur du laboratoire. Fondée en 2021 à la suite d’une thèse avec l’ADEME sur la capture des composés organiques volatils (COV), « Squair-Tech se développe aujourd’hui doucement, au rythme des levées de fonds et des recrutements » expose Christian Serre. Multi-casquette passionné et passionnant, il envisage la création d’une autre startup début 2025 avec l’appui de PSL. « L’avantage de la recherche académique, c’est qu’on a une grande liberté d’action ! » s’exclame-t-il. Une grande liberté d’action qui devrait être encouragée dans les quatre prochaines années grâce au financement de 11 millions d’euros attribué à l’Université PSL pour lancer son Pôle Universitaire d’Innovation. L’Institut des Matériaux Poreux de Paris n’a donc pas fini de livrer tous ses secrets.