Fort d’un parcours à la croisée des mondes de l’enseignement supérieur et des entreprises, Alexandre Rigal est le nouveau directeur général de JUNIA. A sa tête depuis le 1er juin, il détaille ses ambitions pour cet établissement qui se définit comme « la grande école d’ingénieurs des transitions ».
Quelle est la mission de JUNIA aujourd’hui ?
Je suis convaincu que pour qu’une école d’ingénieurs soit performante, elle ne doit pas oublier pourquoi elle existe et pourquoi elle a été créée. JUNIA, c’est le regroupement de trois écoles fondées pour répondre à des besoins économiques précis : ceux liés à l’agriculture et du monde du vivant dans les Hauts-de-France pour l’ISA, ceux liés à la révolution industrielle dans le Nord de la France pour HEI et ceux liés à la révolution numérique pour l’ISEN. J’estime qu’une école d’ingénieurs, au-delà d’être un acteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, doit s’illustrer comme un acteur socioéconomique. Nos écoles doivent penser leur organisation, leur structuration et leur développement en gardant en tête qu’elles sont au service des besoins économiques exprimés par les entreprises et les collectivités locales pour, in fine, générer de la richesse sur leurs territoires. Je tiens d’ailleurs à préciser que si JUNIA est une école nationale, son siège et tous ses campus sont basés en province.
C’est ce qui vous a poussé à en prendre la direction générale ?
C’est cette complémentarité qui a nourri mon intérêt pour l’aventure JUNIA. Si ses trois écoles originelles ont toutes été créées à un moment pour répondre à des problématiques de formation propres aux entreprises de leur secteur, aujourd’hui, ces entreprises ont des problématiques beaucoup plus complexes. Et c’est là tout l’intérêt de JUNIA. En tant que grande école d’ingénieurs des transitions, elle permet à chacun de nos étudiants, quel que soit le PGE qu’il choisit, d’être formé comme un ingénieur généraliste dans son domaine mais capable de capter les enjeux d’autres disciplines. En France, on aime qu’une école soit égale à un diplôme. Mais moi je veux que JUNIA devienne plus qu’une école d’ingénieurs, qu’elle soit un acteur économique au service de toutes les entreprises de ses territoires, en particulier les ETI et les PME. De vrais creusets de richesses et d’innovation qui peinent souvent à trouver les compétences dont elles ont besoin… alors que leurs carnets de commandes sont pleins.
Vous qui avez connu ces deux mondes (au sein de la CDEFI, de la CGE, des Arts et Métiers, de Bpifrance…), pensez-vous qu’un rapprochement des écoles d’ingénieurs avec les entreprises est aujourd’hui absolument crucial ?
Je trouve en tout cas que ce rapprochement ne se concrétise pas encore assez. Quand j’évoluais dans l’enseignement supérieur, les écoles voulaient développer des relations avec les entreprises, mais toujours avec les mêmes recettes (taxe apprentissage, stages etc.). Et quand j’accompagnais des PME et ETI je constatais qu’elles ne savaient pas comment entrer en contact avec les écoles qui formaient les étudiants dont elles avaient besoin. Quand on voit que certaines PME ont fini par monter leur propre académie de formation car les plus de 200 écoles d’ingénieurs de ce pays ne pouvaient ou ne savaient pas répondre à leurs besoins -alors que je le rappelle, former c’est un métier qui ne s’improvise pas – c’est qu’il y a un vrai problème.
Il est nécessaire de changer de paradigme et faire des relations entreprises autrement. Oui nous sommes des acteurs de l’enseignement supérieur, oui nous répondons à des canons académiques précis, mais ça ne doit pas nous empêcher de faire du B2B avec une entreprise. Levons les tabous : si une entreprise n’accepte pas de payer pour voir, elle n’a aucun problème à instaurer des relations commerciales avec une école, dès lors qu’elle lui apporte quelque chose d’utile et de concret.
Vous espérez entrainer d’autres écoles dans votre sillage ?
J’ai consacré deux tiers de ma vie professionnelle à travailler pour le collectif, alors si on peut faire figure d’effet d’entrainement j’en serais très content ! Ce sont mes observations mais j’ai conscience d’avoir un profil tout à fait atypique. Je ne viens pas du sérail et j’ai donc peut-être une vision décalée… mais l’innovation ne nait-elle pas justement des visions décalées ? Je crois qu’il est temps de faire notre métier en pensant un peu hors du cadre afin de répondre à des besoins insatisfaits du marché.
De fait, quelles sont les grandes lignes directrices de votre feuille de route pour cette première rentrée ?
Je souhaite remettre notre raison d’être au cœur du réacteur. Cela passe notamment par le développement de nos domaines de professionnalisation et leur adaptation à des blocs de compétences utiles pour demain, via des chaires de formation notamment. Nous devons aussi développer la formation tout au long de la vie. Et ce à travers des formations qualifiantes, certifiantes et pas forcément diplômantes, pour rendre les cadres plus innovants vis-à-vis des enjeux du marché. La dimension internationale est aussi importante. Il nous faut accompagner nos entreprises territoriales et nationales dans la conquête de nouveaux marchés en formant plus d’étudiants pour les pays où elles souhaitent s’implanter et rompus à cette culture internationale. Ce qui nécessite de renforcer la structuration de nos partenariats académiques dans le monde.
Je n’oublie pas bien sûr l’expérience étudiante. Nos étudiants sont en recherche de sens et je souhaite qu’ils trouvent chez nous du pragmatisme, du terrain, des interactions permanentes avec le réel, ce qui passe souvent par un début de carrière dans une PME ou une ETI. Je suis convaincu que c’est parce qu’on connait bien le terrain qu’on peut, ensuite, bien travailler et évoluer dans un grand groupe. C’est d’ailleurs ce qui motive mon engagement pour l’enseignement supérieur : avant de diriger une école, je dirige une association Loi 1901 à but non lucratif et dotée d’une mission d’intérêt général. Diriger une boite lucrative, ce n’est pas mon truc. Ce qui fait sens dans mon métier c’est aider un jeune à avoir un job et à accomplir quelque chose dans sa vie.