Ni putes ni soumises, le féminisme du XXIe siècle

Fondé par Fadela Amara en 2003, le mouvement Ni putes ni soumises est depuis 2007 présidé par Sihem Habchi, une jeune femme de 36 ans qui ne mâche pas ses mots ! Féminisme, machisme, ghettos, burka, violences faites aux femmes ou interpellation des politiques… Tous ces sujets provoquent chez elle une sincère indignation et une volonté que les choses changent. Et vite !

Silhem Habchi

Quelles furent vos motivations pour rejoindre le mouvement ?
Durant mes études j’ai essayé d’aider des jeunes femmes en difficulté, j’ai enseigné le français à des immigrées ; la langue c’est fondamental pour se battre et faire vivre la démocratie. Mais je cherchais un espace d’engagement… J’ai apprécié le côté concret de NPNS et la « Marche des femmes des quartiers pour l’égalité et contre les ghettos » en 2003, qui a libéré la parole et médiatisé la souffrance des femmes issues de l’immigration ou des classes populaires. J’ai donc rejoint le mouvement comme bénévole lambda, j’ai créé notamment le site Internet et élaboré «Le guide du respect»… Nous avions le souci de rester ouverts à d’autres composantes de la société, même si certains ont essayé de nous enfermer dans cet aspect beurettes et quartiers ; or NPNS est un mouvement populaire qui veut parler à toutes les femmes quelle que soit leur origine.

Qu’est-ce qui a le plus changé depuis la création de NPNS en 2003 ?
La libération de la parole ! Le seuil de « tolérance » aux discriminations et à la violence a changé, ainsi que le regard porté sur les agresseurs. Changement aussi dans la vision du féminisme qui nous a permis de rallier des jeunes, femmes et hommes, puisque nous tenons à la mixité. Il a parfois été reproché à l’association de se focaliser sur un machisme de banlieue et donc de stigmatiser les habitants de ces quartiers… Si on parle d’un problème on stigmatise, mais c’est hallucinant cette manière de voir ! Excusez- nous de vous avoir dérangé avec nos histoires, mais ce sont aussi les vôtres, car ces femmes vivent en France ! La République c’est aussi de faire plus, là où il y a le moins ; on a mis en lumière un dysfonctionnement de la République, c’est à dire l’abandon des quartiers ghettos et des femmes qui y vivent.

À qui la faute, cet abandon ?
Partis politiques de tous bord, associations… Et quand certaines féministes se sont élevées contre l’interdiction du port de la burka en arguant du droit des femmes de faire ce qu’elles veulent, elles se sont coupées de la réalité ! Quand on tourne la tête pendant trop longtemps en prétextant qu’il ne faut surtout pas discriminer ces populations, car culturellement les mariages forcés, l’excision, la polygamie existent, ce relativisme culturel amène ce genre de dérive ! Moi, je demande qu’on soit exigeant avec tout le monde et si un mari tape sa femme, peu importe sa couleur et son origine ! Ce qu’on dit n’est pas contre la population mais au nom de cette population, elle aussi enfermée dans un communautarisme ; la cohésion sociale c’est un bien de la République, un bien commun.

Il y a quelques mois, vous avez mené l’opération « Toutes en jupe ». Or, dans les années 70, les féministes considéraient le pantalon comme un outil d’émancipation, serait-on passé d’un féminisme d’égalité à un féminisme de différenciation ?
Non, au contraire car ce féminisme qui était censé défendre l’universalité des droits, c’est-à-dire la laïcité, ne l’a pas fait, c’est NPNS qui la fait revivre avec des femmes comme Élisabeth Badinter. La défense du pantalon, ce n’était pas le pantalon en tant que tel, mais le symbole de quelque chose qui était interdit aux femmes. Le pantalon d’hier c’est la jupe d’aujourd’hui puisque dans certains quartiers, les femmes en jupe se font insulter, voire agresser. NPNS revendique la liberté pour les femmes de porter ce qu’elles veulent, de pouvoir vivre leur féminité ; en revanche si on accepte la burka, un outil d’oppression, c’est la mort définitive du féminisme et au-delà des femmes, d’un combat politique. Entre le féminisme des années 70 que je qualifie de bourgeois, car il n’a pas profité aux classes populaires – c’est toujours très difficile pour certaines d’avoir accès à l’avortement – et celui d’aujourd’hui il manque un trait d’union et nous sommes là pour le faire.

Je trouve inacceptable que dans la France du XXIe siècle une femme meure tous les deux jours, ça devrait déclencher une mobilisation générale, comme en Espagne !

Quelle est votre priorité pour 2011 ?
Je trouve inacceptable que dans la France du XXIe siècle une femme meure tous les deux jours, ça devrait déclencher une mobilisation générale, comme en Espagne ! Il faut une véritable volonté politique pour impulser un changement et lutter contre les inégalités entre hommes et femmes qui vont de la sphère intime à la sphère professionnelle et publique. Il faut que ça aille vite et il faut aussi s’adresser à des femmes en responsabilité, comme Anne Lauvergeon ou Laurence Parisot, des marraines de NPNS, car l’entreprise est également un lieu de civilisation où on crée du lien, la mixité doit s’y pratiquer à tous les niveaux.

En 2012, allez-vous demander aux candidats de s’engager sur des projets de lois ?
Lors des dernières régionales, on a peu parlé de la violence faite aux femmes, de la promotion de l’égalité, de la diversité… Notre système archaïque est réticent à pointer du doigt ce qui doit changer ; cela dit on fera quand même pression auprès des personnes qui ont du pouvoir pour que les choses avancent, mais il faut dire aux citoyens « vous devez exiger des choses ».

Avec le recul que pensez-vous du passage de Fadela Amara au gouvernement ?
A-t-elle fait avancer les choses ? Ça a fait gagner 50 ans à la France ! Elle, Rama Yade, Rachida Dati, ça a cassé une logique victimaire, cette vision que les femmes ne pourraient pas être au pouvoir. Après, elles réussissent ou pas, ce n’est pas le problème, elles y étaient !

Françoise Félice