Le dirigeant est condamné à se renouveler pour être au diapason d’un monde économique et social en perpétuelle évolution. Quelles valeurs contenues dans le leadership sont reconnues aujourd’hui ? Est-on en train de passer du modèle du dirigeant guerrier, héroïque, solitaire ; à un patron porté par valeurs plus humaniste et plus inclusif dans son style managérial ?
Qu’est-ce que le leadership ?
« Le leadership est systémique, répond Isabelle Deprez spécialiste du leadership, professeur à ESCP Europe. Le leadership c’est un individu, dans un contexte particulier face aux attentes d’un groupe. » Lorsque le contexte change, et/ou les attentes du groupe évoluent, un nouveau leadership émerge.
Quelles évolutions influent sur le leadership ?
Nous vivons une révolution doublée d’une grande période de volatilité. « Les entreprises évoluent dans un contexte de turbulences économiques, sociétales, technologiques, développe Isabelle Deprez. Face à la nécessité d’inventer un nouveau modèle d’affaires, l’incertitude est complète. » Les leaders doivent diriger et mener dans le règne de l’inconnu.
Quelles conséquences pour le leader ?
Sa plus grande difficulté est son manque prise sur les choses. Que maîtrise-t-il en tant que personne ? Quels sont ses leviers pour construire et se construire demain ? « Or, ses collaborateurs attendent de lui qu’il soit en capacité d’aller de l’avant dans l’incertitude, rappelle Isabelle Deprez. Ils le veulent rassurant par son attitude, ses comportements, ses valeurs. »
« En premier lieu les humains tentent de vivre ensemble, rappelle Laurence Baranski, coach de dirigeants qui vient de publier la 3e édition de son ouvrage « Le manager éclairé » chez Eyrolles. Ils le font aussi dans l’entreprise avec la particularité qu’ils doivent ici s’organiser pour être performants. » La performance de l’entreprise est considérée sur les plans économiques et financiers. Or le temps financier n’est pas celui des humains. « C’est bien la performance globale qu’il faut considérer, un système qui ne peut fonctionner sans ses différentes dimensions. C’est en utilisant les leviers du vivant que le manager va créer la performance. »
Quelles sont les qualités du nouveau leader ?
1. Etre optimiste, posture essentielle pour être capable d’avancer, de chercher des solutions. « Il ne s’agit pas d’être béat, prévient Isabelle Deprez, mais bien de se sentir suffisamment en confiance par rapport aux évènements pour être combatif et courageux. »
2. Etre humble, capable de remettre en cause ses certitudes pour explorer de nouvelles pistes, questionner ses pratiques. « C’est la vraie humilité qui est utile, celle qui permet d’être agile, de lâcher prise tout en ayant confiance en soi et en les autres », ajoute Isabelle Deprez.
3. Le leader ouvre son entreprise sur l’extérieur. Il lâche prise sur l’ultra-process qui contraint sa marge de manouvre au moment où il a besoin de liberté pour repositionner sa stratégie. Il ouvre l’entreprise sur son écosystème et ses parties prenantes.
4. Dans l’idéal, le « super » leader, a suffisamment de maîtrise de lui-même et d’humilité pour attirer les meilleurs à lui. Ceux qui dans leur complémentarité entre eux et avec lui, vont lui permettre de gérer la complexité, la multitude et la volatilité des informations et des situations. « Ces dirigeants sont inspirants pour des personnes qui veulent autre chose que l’entreprise où les process dominent », estime Isabelle Deprez.
5. On observe une tendance managériale qui se caractérise par la volonté de coopération, de s’appuyer sur l’intelligence collective, d’instaurer de nouvelles manières de travailler ensemble. « Ce nouveau type de management repose sur l’écoute, le partage de valeurs et d’objectifs, la création des conditions de l’efficacité collective que sont l’autonomie, la confiance aux autres, développe Laurence Baranski. Ces nouvelles méthodes de management ne fonctionnent que si les personnes sont entières. Il ne suffit pas de se gargariser de beaux mots, il faut agir et incarner ces méthodes. Le dirigeant fait appel à son intelligence émotionnelle, à son savoir-être. »
La révolution culturelle est-elle en cours ?
« La souplesse, l’ouverture, le lâcher prise vont à l’encontre du modèle traditionnel du leader guerrier, qui fait preuve d’une affirmation de soi excessive, qui a le culte de la rationalité », note Isabelle Deprez. Il y a un grand changement culturel à mener chez les dirigeants pour accepter de s’assouplir. « Pour pouvoir transformer une structure, il faut se transformer soi-même, on parle donc ici de développement personnel des dirigeants. » Les dirigeants ont néanmoins conscience que la performance ne peut plus reposer sur le style managérial : je donne un ordre et j’obtiens obéissance. Cela motive leur réflexion sur de nouvelles méthodes de management. « Dans l’idéal on tend vers la génération d’une intelligence collective, analyse Laurence Baranski. Cette coopération étant également génératrice de sens pour les collaborateurs. Ces nouvelles manières de faire cohabitent avec les anciennes, on est donc dans une phase de transition. Et dans cette dynamique, les dirigeants ont un rôle moteur. Car si le Comex, centre énergétique de l’entreprise, est fermé et rigide, elle s’étiole. »
Le leadership nouveau est-il une question de génération ?
Plus qu’une question d’âge, pour Laurence Baranski, il dépend du « rapport à la vie, du rapport à l’autre, des valeurs personnelles. Certains ont envie de coopérer, de partager, de former ; c’est leur manière de fonctionner. Ils promeuvent leurs modèles managériaux en conséquence. »
Cécile Dejoux, maître de conférences en sciences de gestion au CNAM, son MOOC « Du manager au leader » a séduit 36 000 personnes dans le monde. La saison 2 du MOOC est ouverte sur FUN depuis novembre. La professeur a été classée N°1 parmi les « 50 défricheurs qui imaginent la France de demain » par l’Opinion en novembre.
Quels sont vos constats face à l’évolution (ou la non évolution) des dirigeants ?
1. Ils ont été « formatés » par des études et des carrières fondées sur des valeurs, méthodes et certitudes qui ont leurs qualités, mais ne sont plus adaptées. Il leur faut s’ouvrir à d’autres idées et manières de faire. Des entreprises pratiquent ainsi le reverse mentoring, le binôme dirigeant/jeune pour considérer les différences dans leur appréhension du monde. Des entreprises traditionnelles vont voir comment ça se passe dans une start-up. Je crois qu’ils ont besoin d’avoir un choc pour comprendre la nécessité de changer car le monde est déjà différent !
2. De la même manière, les attentes de leurs collaborateurs ont changées. Les salariés se forment via des MOOC, ils apprennent en permanence. Il est essentiel de réintroduire leurs nouvelles connaissances/compétences dans l’entreprise, qu’ils les transmettent aux autres, et que l’entreprise les valorise.
3. Les dirigeants ont tout à gagner à être plus dans l’innovation créatrice. En suscitant et intégrant les préconisations et idées venues du terrain, ils libéreraient la motivation et la capacité d’agir de leurs collaborateurs. Ce sont les modes du travailler ensemble qu’il faut repenser. Le management n’est pas quelque chose de définitif, il est normal qu’il évolue selon les environnements, attentes, situations, conjonctures.
Qui est le manager/leader « idéal » en 2015 ?
Il y en a 3 types :
Le leader qui gère ses émotions et tient compte de celles des autres ; il met en relation, est empathique et bienveillant. Le leader collaboratif et influenceur ; il accepte de céder du pouvoir. Il est celui qui véhicule l’information, il est un passeur. Il crée une dynamique.Enfin, le manager spirituel puise dans la ressource spirituelle pour nourrir sa vision du monde, se ressourcer, dans un monde complexe et stressant.
Ces trois profils ne sont pas distincts, selon les projets, les situations, l’environnement, le moment, le manager gère l’émotion, est collaboratif ou spirituel.
A. D-F