Le 28 juillet 2010, le leader de la microfinance indienne, SKS Microfinance, annonce son introduction à la bourse de Bombay, ouvrant ainsi 22 % de son capital aux investisseurs institutionnels et privés, permettant ainsi un apport de 350 millions de dollar. Quelques mois plus tard, les bilans publiés présentent un doublement de ses profits. Aujourd’hui, alors que la microfinance essuie de nombreux revers en Inde et doit faire face à une critique grandissante, le débat est relancé : la financiarisation du microcrédit est-elle compatible avec les valeurs qu’il promeut ?
Une étape nécessaire ?
Le fondateur et président de SKS Microfinance, Vikram Akula, présente cette étape comme nécessaire, arguant du fait que l’offre de fonds pour les microcrédits ne satisfait même pas 10 % de la demande. «Le seul moyen d’attirer les capitaux n’est plus seulement d’être rentable, mais d’être extrêmement rentable» se justifie-t-il. L’introduction en bourse est donc selon lui le seul moyen de continuer à se développer, ce afin d’étendre le progrès social. En somme la financiarisation de la microfinance permettrait son existence future et la pérennité de ses valeurs. Cependant, cette explication ne satisfait nullement la quasi-totalité des autres acteurs du secteur qui s’accordent à dire que la cotation boursière des institutions de microfinance (IMF) va totalement à l’encontre des principes du microcrédit.
Le Microcrédit ne doit pas perdre de vue son objectif : lutter efficacement contre la pauvreté
Celui qu’on en présente comme le père fondateur, Muhammad Yunus, s’insurge : «Le microcrédit ne doit pas être présenté comme une opportunité de gagner de l’argent. Cette introduction en bourse envoie un mauvais message». En effet il doute de la capacité de SKS à remplir sa mission sociale dans le cadre d’une logique de maximisation des profits, que la cotation boursière induira forcément en plaçant les intérêts des actionnaires avant ceux des emprunteurs.
Endettement et harcèlement
Au regard de l’actualité en Inde, force est de constater que ses craintes étaient fondées. En novembre dernier, le gouvernement de l’Andra Pradesh, état indien doté du plus grand nombre d’IMF, a promulgué une loi prévoyant de lourdes condamnations pour le « harcèlement » des agents de crédit envers les emprunteurs. Cette mesure législative exceptionnelle a été votée en réponse aux 85 suicides de personnes surendettées – en partie auprès de SKS – qui avaient eu lieu dans cet état au cours des derniers mois. Le microcrédit peut désormais donc susciter le mal-être extrême alors qu’il doit normalement être vecteur de progrès social, et l’on peut légitimement supposer que la cotation boursière des IMF aggrave cela.
Une mutation vers de simples crédits à la consommation
Ce surendettement est révélateur d’un autre problème que soulève la cotation boursière des IMF : la mutation des microcrédits initialement prévus pour l’entrepreneuriat en de simples crédits à la consommation. En effet dans l’idée du microcrédit, le problème du remboursement n’intervient pas puisque les prêts servent à financer des projets d’entreprise dont les revenus futurs permettront le remboursement. Certes la cotation en bourse n’est pas l’unique responsable de cette dérive, mais elle y contribue fortement enaugmentant considérablement l’offre, offre à laquelle l’IMF doit obligatoirement trouver preneur afin de satisfaire ses actionnaires, quitte à ce que les emprunteurs ne répondent pas aux critères initiaux. Enfin, même sur le plan financier cette cotation en bourse des IMF n’augure rien de bon.
Vers une bulle spéculative à l’américaine ?
Certains craignent la formation en Inde d’une bulle spéculative similaire à la bulle des subprimes aux Etats-Unis en 2008. Le microcrédit étant perçu comme un placement sûr, grâce à des taux de remboursement élevés et des taux d’intérêt importants (environ 25 %), la spéculation fait rage. Ces symptômes, qui rappellent ceux de la bulle des subprimes, sont très inquiétants, d’autant plus que, malgré une forte croissance, l’Inde demeureun colosse aux pieds d’argile qui n’aurait pas les armes pour affronter une telle crise.
Marie Lavielle pour EMicrocrédit EMLyon
Contact : marie-lavielle.esc@em-lyon