Les universitaires, source d’imagination

Les universitaires intéressent les entreprises parce qu’ils possèdent des qualités différentes des diplômés issus des Grandes écoles, ce qui leur permet de recruter des étudiants pouvant s’adapter à différentes situations, quels que soient les postes occupés.

Des secteurs protégés
Quand on évoque les universités et l’emploi, il faut bien évidemment préciser que certaines universités spécialisées sont les seules à pourvoir certains postes. Ainsi les facultés de médecine et les universités de droit ont un quasi-monopole dans leurs domaines d’enseignement, sans oublier les écoles spécialisées internes aux universités comme le CELSA qui constituent des grandes écoles, les masters professionnels ou encore les universités technologiques. Certains secteurs, notamment les métiers liés à la culture, font largement appel aux cursus universitaires pour des raisons de contenu et de méthode. Patrick Bélaubre, Secrétaire général de la Comédie Française nous apprend. « De formation universitaire en lettres modernes, je me suis dirigé vers la vie culturelle très rapidement, sans jamais avoir de problème de recrutement. Et ce que j’ai appris à l’université, en terme de méthode, de réflexion et d’appréhension du monde, me sert tous les jours.»

 

L’entre deux
Certains établissements, auxquels les entreprises demandent des jeunes ayant une formation un peu différente de celles des grandes écoles, sont à la frontière entre les grandes écoles et les universités. L’Ecole Normale Supérieure de Paris se situe ainsi à la croisée des deux mondes. Jean-Claude Lehmann, Président de l’A-Ulm, Association des anciens de l’ENS Ulm, constate. « Notre service carrière est de plus en plus sollicité par les entreprises pour qu’on leur propose des normaliens scientifiques ou littéraires. Elles considèrent que ce que peut apporter une formation universitaire comme la nôtre contient des éléments que les formations d’ingénieur et celles des d’école de commerce ne leur procurent pas nécessairement, notamment une culture générale plus importante, une imagination, un recul historique et une réflexion sur le monde dans lequel nous vivons. »

 

Une grande capacité d’adaptation
Cette aptitude particulière constitue un atout considérable pour les universités. Dominique Blanchecotte, Directrice de Cabinet du Président Directeur Général du Groupe La Poste, indique. « Le Groupe La Poste et sa Banque Postale recrute aussi des universitaires. Actuellement, le contrôleur de gestion du Groupe, Virgile Bertola, est un Dauphinois. La formation dispensée à Dauphine, basée sur une acquisition des compétences qui se fait par montée en puissance dans le temps, est très appréciée. Ce type de formation, basée aussi sur des modules de domaine différent et complémentaire, permet l’ouverture d’esprit, la curiosité et laisse une grande place à la réflexion. » Paul Fontayne, vice-président du conseil des études et de la vie universitaire intéressent les entreprises pour deux raisons essentielles. « Ils maîtrisent des connaissances étendus et acquièrent une forte capacité autodidactie, est très large face aux élèves des grandes écoles sortant des classes préparatoires dont le parcours est extrêmement balisé et sans surprise. »

 

Une culture plus étendue
La culture générale des diplômés de l’université leur permet d’aborder les problèmes avec une vision globale et une imagination plus large. Les étudiants analysent les faits sous un aspect critique. De plus, pour répondre aux problématiques de façon construite et intelligente, ils font appel à une méthodologie acquise grâce à la recherche. Ils n’ont pas d’à priori et font preuve d’humilité face aux problèmes qu’on leur pose, tout en étant capables d’apporter des solutions originales et innovantes tirées de leur culture. Michel-Henri Gensbittel, chargé de mission à l’insertion professionnelle de l’Université Paris-Sorbonne précise. « Nos étudiants deviennent familiers des langues, des cultures, des civilisations et des espaces géographiques, ce qui leur donne une capacité à comprendre les problèmes des autres. Ils sont aptes à aider les entreprises à se développer sur les marchés internationaux. » De fait, certains secteurs privilégient ce type de savoir-faire. Michel-Henri Gensbittel note encore. « Nous avons des étudiants dans les entreprises de BTP, et en plus grand nombre dans les milieux de la banque, de l’assurance et de la finance, car ce sont des gens qui réfléchissent bien dans des temps compliqués ; on en trouve également dans les métiers de l’audit et du conseil car ils ont appris à apprendre et réussissent facilement à se mettre au niveau. »

 

D’accord pour le réseau, mais…
Quelquefois, le recrutement des diplômés issus des grandes écoles repose sur des réflexes corporatistes, alors même que les universitaires auraient autant de compétences pour intégrer les postes proposés. Ce système de cooptation constitue une barrière à l’intégration des profils universitaires. Olivier Dufour, Directeur Exécutif chez Michael Page à Bruxelles précise. « Les universitaires apportent des connaissances et des compétences aux entreprises, mais les grandes écoles sont privilégiées parce que les recruteurs en sont souvent issus, et reproduisent malgré eux un modèle. Ils sont rassurés par leur connaissance du contenu du cursus et du référent académique. » Selon lui, ce type de réserve n’empêche pas le recrutement d’universitaires. « Le parcours universitaire est une force au titre de son contenu différent: les étudiants sont libérés de toutes contraintes propres aux formations en grande école, développent une imagination créative appréciée par les entreprises. En parallèle, l’évolution des universités, qui professionnalisent les parcours, assure de bonnes chances d’intégration professionnelle aux étudiants. »

 

Des choix complémentaires
L’approche des entreprises face aux universités change progressivement. Les recruteurs composent des panels de recrutement en les mixant pour ne pas rester sur des formules trop orientées grandes écoles. Tous les secteurs et les types d’emplois sont concernés, aussi bien en sciences exactes et expérimentales qu’en sciences humaines et sociales. Il n’existe plus de domaine réservé. Laurent Batsch, président de l’Université Paris-Dauphine constate. « J’observe un intérêt grandissant des recruteurs pour les littéraires qui ont des compétences et des qualités de raisonnement, d’écriture de rédaction et d’ouverture intellectuelle et culturelle qui constituent des compétences professionnelles. Les entreprises le perçoivent et essayent de s’attacher ces compétences. »

 

L’imagination prioritaire
Ainsi, l’imagination constitue un puissant vecteur de reconnaissance pour les entreprises. Les universitaires sont aptes à imaginer la société, ce qui peut être un formidable moyen de lire l’entreprise en question car il ne s’agit plus de rapport de force ou de compétition, mais d’utilisation de compétences pour résoudre des problèmes en matière de hiérarchie. Jean-Luc Mayaud, Président de l’université de Lyon II réagit. « On ne peut pas rassembler des personnes uniquement sur de la technicité. L’humain est complexe, et notre savoir universitaire peut apporter du plus. Les entreprises doivent le faire pour éviter qu’il y ait uniquement des groupes financiers, l’homme ne pouvant pas être réduit à l’économique. »

 

De quoi demain sera fait ?
Il apparaît également que cette ouverture à l’université évolue plus vite que qu’on ne le pense. Laurent Batsch précise. « En région, les universités ont pris des initiatives de professionnalisation. Elles ont su convaincre les acteurs économiques locaux qui y trouvent des recrutements de qualité, leur regard ayant changé. L’image a toujours un retard sur la réalité. » Certains, comme Yves Poilane, Directeur de Télécom ParisTech et Président de ParisTech, défendent la complémentarité dans le rapprochement entre grandes écoles et universités. « Je crois que la richesse résulte de la diversité, de l’hybridation et du métissage. Et ce rapprochement est d’ores et déjà à l’oeuvre : depuis plus de 20 ans, nous diversifions les filières d’entrée, certains de nos ingénieurs recherchent une spécialisation en université ou poursuivent en thèse ! Les grandes écoles et l’université ne s’opposent pas mais se complètent pour former des diplômés qui feront l’avenir des entreprises. »

 

Patrick Simon