❏ En plaisantant, certains collègues me disent parfois : « Toi, pour ton cours de marketing, c’est facile : tu n’as qu’à montrer quelques pubs marrantes et tout le monde est content ». En réalité, les cours de marketing, comme ceux de stratégie ou de management, sont parmi les plus difficiles à enseigner. La preuve ? Dans toutes les écoles où j’ai enseigné, à l’INSEAD, Wharton, Kellogg, LBS ou Harvard, ce sont toujours les cours quantitatifs (tels que la finance, l’économie, ou même la comptabilité ou les statistiques) qui gagnent les prix du meilleur cours décernés par les étudiants.
❏ La difficulté vient du fait que le marketing est à la fois une science et un art, avec des aspects très quantitatifs (le fameux «Big Data» et son lot de méthodes statistiques et mathématiques) et d’autres plus qualitatifs (l’étude des mystères du comportement humain par la psychologie), tout en étant très proche de la réalité du terrain (gare au professeur de marketingqui n’aura pas vu la dernière campagne qui fait le buzz). Pour ces raisons, un cours de marketing se doit de présenter ces différentes facettes de la discipline tout en restant en phase avec les nouvelles technologies, les tendances et l’actualité du monde des marques, de la communication et des médias.
❏ Pour ce qui est de l’enseignement des techniques quantitatives, la nouveauté nous vient du côté des outils, toujours plus nombreux et toujours plus pratiques. A l’INSEAD, par exemple, tous les étudiants ont un compte gratuit sur le site www.qualtrics.com qui leur permet de créer facilement des questionnaires en ligne avec toutes les fonctionnalités nécessaires (randomisation des questions, branches conditionnelles, ajout de vidéos ou images). Une fois les données collectées, ils peuvent les analyser en utilisant un logiciel comme « marketing engineering » de www.decisionpro.biz qui permet de faire des analyses conjointes, de la prévision, ou de l’optimisation directement dans Excel.
❏ Du coté des techniques qualitatives, le marketing continue bien sûr à utiliser fréquemment la méthode des cas. A ce propos, il est important de comprendre que le but d’un cas n’est pas d’informer les étudiants sur une industrie ou sur une entreprise en particulier— internet est là pour ça. Un cas sert à affiner leur compréhension des tenants et des aboutissants d’un problème de management (par exemple : quand faut-il étendre une marque existante plutôt qu’en choisir une nouvelle ?) ou de concepts (par exemple, l’identité de marque) en les étudiant dans une situation réelle. Cet enracinement permet de montrer la difficulté d’appliquer des concepts qui ont parfois l’air évidents, tout en motivant les étudiants qui peuvent s’identifier aux protagonistes du cas et apprendre en étant obligé de prendre des décisions et de les défendre. Ce que peu d’étudiants savent est que les professeurs ont accès à des informations supplémentaires pour chacun de ces cas qui leur indiquent ce qui s’est passé et pourquoi les décisions ont été prises, afin de pouvoir animer la discussion.
❏ Ceci dit, l’aspect hédonique du cas est également important et c’est pourquoi les cas les plus populaires racontent des réussites (plus motivantes que des échecs), portent sur des catégories susceptibles d’intéresser les étudiants (l’alcool, les jeans, les cosmétiques…), et ont une forte composante multimédia (interviews de consommateurs, des dirigeants, et—c’est vrai—quelques pubs). Ce cocktail est le point commun des cas que j’ai écrits qui ont gagné le prix du meilleur cas de l’année www.thecasecentre.org/educators/ casemethod/awards/winners/2012 : Diesel : comment étendre une marque de jeans vers le luxe ; Le papier toilette Renova : comment différencier une commodité ; Unilever au Brésil : comment cibler les consommateurs à faibles revenus et il fera j’espère le succès de mon dernier cas : L’Oréal en Chine : comment vendre le luxe à la chinoise www. insead.edu/facultyresearch/loreal-china.
❏ En conclusion, le marketing est une matière vivante aux confluents des différentes disciplines et en prise directe avec l’actualité. Cette richesse requiert un renouvellement constant de son enseignement et la maitrise des nouveaux outils pédagogiques, ce qui inclut parfois, bien sûr, quelques bonnes publicités… mais pas seulement.
Tous les cas cités sont disponibles gratuitement sur www.pierrechandon.com.
Par Pierre Chandon, titulaire de la chaire L’Oréal de Marketing à l’INSEAD