La créativité peut-elle s’enseigner ?

« Moi, je ne suis pas créatif ! » s’excusent timidement de nombreux étudiants en début d’année ; en fait, une façon de se retenir d’oser penser différemment et de se protéger du jugement des autres. Beaucoup d’étudiants réduisent aussi la créativité à ses applications artistiques. D’autres encore pensent que la créativité relève d’un don. C’est pour briser ces idées fausses qu’il est crucial d’intégrer la créativité aux enseignements dans nos écoles de commerce.

La créativité, comme capacité à produire des idées nouvelles, est un potentiel que nous avons tous en commun. Sans elle, les hommes n’auraient d’ailleurs pas survécu et ils devront encore se montrer créatifs dans les années à venir pour trouver des solutions à la pollution, au terrorisme, à l’alimentation mondiale etc. Chacun de nous doit aussi faire preuve de créativité dans sa vie quotidienne, sans même en avoir conscience, pour contourner des difficultés. Car la créativité est avant tout un outil de résolution de problèmes ; c’est un savoir faire qui s’acquiert et se développe. Mais elle suppose aussi une posture adéquate car des freins peuvent annihiler le potentiel créatif. Enseigner la créativité, c’est donc transmettre à la fois des méthodes et un savoir-être.

 

Des méthodes pour tirer parti de son imagination
Comment les techniques de créativité agissent-elles ? Elles permettent d’éliminer la critique obstructive et les frontières mentales, elles favorisentles transferts d’un contexte donné à d’autres domaines de la connaissance et stimulent l’imagination. Ainsi, des pensées jusque là non connectées entrent en connexion, des combinaisons inattendues se font, une distanciation par rapport au problème posé se crée et de nouvelles perspectives apparaissent. Mais cela implique souvent d’agir à l’encontre des règles et structures habituelles. Le groupe est important dans tout exercice de recherche d’idées pour apprendre le non jugement et pour générer des effets de synergie : les étudiants ne rassemblent pas seulement leurs idées, mais s’inspirent mutuellement. Quant aux travaux individuels, ils permettent de s’entraîner à imposer son point de vue, même iconoclaste ! Et pour que tout cela fonctionne, on crée dans la classe un environnement propice, ludique et détendu.

 

Acquérir la bonne posture : toujours se demander « pourquoi pas ? »
La créativité fonctionne en zigzag. Nul ne peut décider : tiens, cette semaine, je vais trouver deux idées utiles. L’enseignement de la créativité va donc à contre-courant des cours traditionnels car il s’agit d’apprendre à accepter une forme de désordre, à envisager l’imprévu, à lâcher prise pour s’écarter de ses habitudes et parfois oser déplaire ! En créativité, il n’y a pas non plus de réponse fausse au sens scolaire du terme. Tout est potentiellement acceptable. Pendant les cours, on va donc éluder la notion d’échec, cultiver l’humour et utiliser ses émotions. Les étudiants s’habituent peu à peu à faire librement des propositions de réponse, ils apprennent à rebondir sur la réponse du voisin pour progresser vers une solution.

 

Les cours de créativité dans les enseignements supérieurs constituent souvent la première et la dernière occasion de prendre véritablement conscience de ses possibilités créatives, des mondes qui s’ouvrent alors, et de s’exercer sans risque avant l’immersion en entreprise. L’illumination soudaine ne s’enseigne pas, mais on peut apprendre à la provoquer par l’appropriation de techniques ad hoc et par le choix d’un cadre propice, d’une atmosphère de partage dans la tolérance et l’écoute.

 

Par Anne Brunet-Mbappe
enseignant-chercheur en entrepreneuriat, professeur de créativité à Novancia Business School Paris. Elle a publié en 2013 aux éditions Dunod « L’insolite, moteur d’innovation : Etre hors tendance pour être fort » (Coll. Stratégies et Management).