Au lendemain du 50e anniversaire de « L’Oulipo », Grandes Ecoles Magazine a rencontré, Hervé Le Tellier, auteur contemporain et membre de l’Oulipo qui, comme tout oulipien se présente comme « un rat qui construit lui-même son labyrinthe et dont il se propose de sortir ». Retour sur la découverte d’un groupe littéraire, pas comme les autres …
Entre recherche et création
L’Ouvroir de Littérature Potentielle (Oulipo) est un groupe littéraire cofondé en 1960 par François Le Lionnais et Raymond Queneau, et compte aujourd’hui 37 membres, 19 vivants et 18 disparus « excusés pour cause de décès », parmi eux, d’illustres écrivains tels que George Perec, Jacques Roubaud ou encore l’américain Harry Mathews. La littérature oulipienne, que proposent Hervé Le Tellier et ses acolytes, est par définition une littérature élaborée par les oulipiens, mais nous la décrirons plus largement comme une littérature contemporaine créée sous contrainte. L’objet des travaux de l’ouvroir est de mettre au point un certain nombre de règles à partir desquelles ses membres vont s’exercer à créer, faire rimer, suggérer, émouvoir… Jusqu’alors, un peu plus de 1 000 règles ont été inventées, classées selon deux catégories : des règles de narration liées au temps, aux personnages, à la construction du récit, etc. et des contraintes liées aux modalités d’écriture (règle rythmique, rimique, vocabulaire restreint, etc.). Les oulipiens se consacrent également à la recherche d’auteurs, « oulipiens par anticipation » ou contemporains, dont les travaux prennent étrangement de faux airs de littérature oulipienne.
La force de la contrainte
Alors que de nombreux écrivains contemporains cherchent à s’affranchir des règles littéraires classiques et se veulent jouir d’une liberté sans limite, les oulipiens préfèrent cultiver l’art de la règle, et se réclament davantage d’une création structurée plutôt que d’une destruction libératrice. Certes, l’exercice de la contrainte suscite chez l’auteur un manque, une privation, puisqu’un certain lieu du texte lui demeure à jamais inaccessible. Mais si la contrainte structure la création, elle ne la limite pas. Selon Hervé Le Tellier, « le tuyau d’arrosage représente très bien ce que signifie la règle pour un auteur. La contrainte serait la manière dont on appuie sur le bout du tuyau. D’une pluie de fines gouttelettes au jet d’eau puissant, nous pouvons obtenir de cette pression une diversité presque infinie de choses. » A l’image de cette métaphore, la création jaillit de cet interdit, substituant à la muse des Romantiques un travail d’invention, d’imagination et de jeu, duquel résultent des oeuvres uniques et originales, inconcevables en l’absence de ces bornes littéraires.
« Une seconde famille »
A l’image de son concept fondateur, l’organisation de l’Oulipo est régentée par des règles strictes et intraitables, piédestal de la pérennité et de la perpétuité du groupe. Ainsi, ne devient membre de l’Ouvroir que celui qui n’a jamais fait part de son voeu, même inconscient, de faire partie du groupe, puis qui est élu à l’unanimité par la totalité des membres. Son acceptation ou son refus d’intégrer le groupe sont définitifs. Chaque mois est organisée une réunion privée, au cours de laquelle une nouvelle règle doit être élaborée. Si cette réunion mensuelle ne pouvait exceptionnellement se tenir, alors le groupe s’auto-dissoudrait de fait. Aussi, afin de réfléchir à l’avenir du groupe, un conclave de 3/4 jours réunit tous les 4 ans l’ensemble des membres. En dehors de ces rendez-vous institutionnels, les compères oulipiens ont aussi le plaisir d’échanger régulièrement, comme toute famille, qui partage des liens affectifs durables et sincères.
L’Oulipo, à vocation universelle
Méfiez-vous des apparences, les oulipiens ne sont ,pas que des individus isolés, aux traditions sectaires et aux règles obscures, bien au contraire … D’octobre à juin, nos chers oulipiens se plaisent à animer une réunion publique mensuelle, cocon de partage et de sensations, où s’entremêlent rires et rythmes, rimes et sourires, silence et émotion. Il y a une quinzaine d’années, cette lecture publique pose ses jalons au coeur de Montmartre avant de finir aujourd’hui au grand auditorium de la BNF devant un public conquis de 400 personnes, qui ne désemplit pas au fil des mois et des années. « A l’origine, nous pensions que cela ne s’adresserait qu’à un comité restreint mais nous avons été étonnés par le vif succès de ces lectures, depuis, renouvelé à chaque session », explique Hervé Le Tellier. Aussi, pour ceux qui souhaitent s’initier aux mystères de la cuisine oulipienne, les oulipiens animent, à chaque saison estivale, des ateliers d’écriture lors d’un séjour d’une semaine à Bourges. Mais, il est également possible de déguster les travaux oulipiens chez Les Bibliothèques Oulipiennes, publications privées au nombre réduit d’exemplaires.
A chacun sa règle
De la littérature combinée de Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau à la construction narrative inspirée des déplacements du cavalier sur un échiquier d’Une vie, mode d’emploi de George Perec, chacun peut s’essayer aux quelques centaines de règles oulipiennes répertoriées. Hervé Le Tellier nous confie apprécier la forme du sonnet pour la poésie, les jeux de damiers pour le récit ou encore la règle du « beau présent », qui consiste à n’employer que les lettres du prénom et du nom d’une personne. Alors ami(e)s lecteurs, à votre règle et à vos plumes !
En savoir plus sur L’Oulipo : www.oulipo.net
• Anthologie de l’OuLiPo, Poésie/Gallimard n° 448
• Le DVD « L’OuLiPo mode d’emploi », film documentaire diffusé sur ARTE
• Tous les mois : Lecture publique, Les Jeudis de l’Oulipo à la Bibliothèque François Mitterrand
AB