Crédit photo – Mark Mc Ginley

KUALA LUMPUR – Noël et le brassage commercial des cultures (par Cross Worlds)

Pour le regard croisé de ce mois-ci, j’ai choisi de laisser la parole aux habitants de Kuala Lumpur, tous d’ethnies différentes à l’image du pays. Il n’y a en effet que 50 % de Malais en Malaisie, l’autre moitié se divisant entre Indiens, Chinois et populations indigènes. Pays multi-ethnique donc, où d’une origine à l’autre les croyances diffèrent et laissent libre interprétation aux rites des différentes religions. Ainsi, d’une Indonésienne à un Malais, d’une Finlandaise à un Chinois, d’un Coréen à un Indien malaisien, d’un Allemand à un Français, d’un Philippin à une Malaise, tous ont pu répondre selon leurs croyances et leur origine à trois mêmes questions sur la fête traditionnelle chrétienne. Croisée des regards.

 

Crédit photo – Mark Mc Ginley

 

Considérant que la grande majorité – si ce ne sont tous – les Malais sont de confession musulmane et que l’Islam est la religion d’État, fêter Noël n’a sur le papier que peu de raisons d’être en Malaisie. Néanmoins, il suffit d’entrer dans les temples de la consommation que sont les grands malls asiatiques pour être envahis de sapins et autres décorations luminescentes. Autre part, peu d’engouement visible pour la fête religieuse, moins en tout cas que dans nos pays de tradition chrétienne. Alors, un Noël en Malaisie, ca donne quoi ? Mohammad est Indien malaisien, a 45 ans et tient un restaurant dans Brickfields. De confession hindoue, je ne m’attendais avec lui qu’à une réponse classique, du type « ca ne me concerne pas ». Mais du fait de son emploi, il est des plus concernés par la fin du mois de décembre : depuis plus d’un mois il a changé ses habitudes alimentaires, et prépare en cuisine un changement radical de menu. Pour le 24 au soir, plus de naan-lassi mais un dhal d’occasion au chutney à la mangue. On reste bien évidemment dans l’indien mais Mohammad espère « une hausse importante de la consommation » pour le soir de Noël. Car c’est bien de consommation dont il est question en Malaisie. Ce n’est pas pour rien que l’on retrouve des sapins de Noël dans tous les malls de Kuala Lumpur. Avec des promotions de Noël à tout va, la religiosité de l’événement a laissé sa place au kitsch des vendeuses en petite tenue (cf photo). Pour Dominik, Allemand athée, « Noël et plus particulièrement le Noël malaisien n’a plus rien à voir avec la vision initiale de la célébration chrétienne ». Et Prosper, Français catholique, d’ajouter que « les sapins de Noël ne sont que dans les malls et ne touchent finalement qu’une frange riche de la population, susceptible d’être dépensière. On ne peut l’appliquer à l’ensemble de la population malaisienne. » Cette instrumentalisation de la religion à des fins commerciales n’est en effet pour autant pas ce que la Malaisie et l’Asie du Sud Est représentent en termes de croyances. Les religions sont nombreuses et cohabitent dans ce qui est un melting pot mondial des cultes. De l’Indonésie musulmane à Bali hindo-bouddhiste, des Philippines chrétiennes aux communautés chinoises tao-confusionnistes, la région regorge de religions différentes qui, malgré certains heurts, créent une culture religieuse débordante de spécificités. Si d’un point de vue officiel on n’accepte qu’une seule religion en Malaisie, la chrétienté est toutefois le plus généralement respectée, et ses rites acceptés. Noël est ici une « fête nationale », au même titre que la fin du Ramadan et que le Dipavali indien. Stefan, Malais musulman, « ne souhaite pas célébrer cet événement car [il ne se sent pas] concerné, mais accompagnera ses amis chrétiens au nom de l’amitié ». Quant à Shakira, elle aussi Malaise musulmane, elle souhaite « aller dans les malls afin de ressentir la magie de Noël ». On pourrait bien sur s’insurger de cette vision de la « magie de Noël » mais c’est le lot commun du mélange des cultures religieuses. Si en Europe on souhaite comme Maria, Finlandaise chrétienne, « aller à l’Eglise et célébrer l’événement autour d’un bon repas de Noël », Yohanna, Indonésienne chrétienne, ira sans doute au karaoké avec ses amis alors que Darwin, Philippin catholique, préfère aller à Singapour où il espère mieux ressentir l’esprit de Noël qu’à Kuala Lumpur.

On retrouve Mohammad, notre restaurateur indien, qui en plus de préparer une soirée spéciale pour Noël, ira ensuite célébrer la naissance du Christ dans Kuala Lumpur avec ses amis. Non, pas la naissance du Christ, seulement Noël en fait. Il a prévu de participer à l’une de ces « spray snow parties », où le but est de s’asperger les uns les autres d’une neige artificielle en bombe. On est bien loin des chants de Noël européens, mais finalement comme nous le dit Henry, Chinois, « nous ne connaissons pas le réel sens de Noël, c’est plus pour nous un jour durant lequel amis et amoureux sortent et font la fête ». Le culturel a pris le pas sur le religieux, « les jeunes sont influencés par le monde occidental et commencent à célébrer Noël même si ce n’est pas leur religion ». Une belle occasion de faire la fête donc, de se retrouver entre amis ou voisins. Pour Shakira, cela relève du « respect » et de la normalité que d’inviter ses voisins et manger halal le soir de Noël – et chanter un chant de Noël m’avoue-t-elle en riant. Alors, c’est quoi un Noël en Malaisie ? J’ai eu beau interroger des gens d’horizons totalement différentes, je n’ai toujours pas d’idée précise sur la question. Finalement, ce Noël on en fait ce qu’on en veut, du karaoké à l’Eglise, du « snow spray » au dhal au chutney. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura sur Kuala Lumpur ce 25 décembre un air de Merry Christmas, quel qu’il soit.

 

Amaury, pour l’association Cross Worlds
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