Le métier le plus exigeant, c’est de loin celui de dirigeant. Le leader est toujours à la recherche d’un équilibre, souvent instable, entre communication, pédagogie, consultation et capacité à décider, à trancher. Mais qui ne s’est jamais appuyé sur ces célèbres citations pour faire passer ses idées ? Etre leader aujourd’hui : vers une dictature de la co-construction ?
« Un chef, c’est fait pour cheffer » Jacques Chirac
Après tout, ces quelques dirigeants célèbres ont su mener des femmes et des hommes. C’est à se demander si la co-construction n’est pas un frein au fond à l’efficacité managériale ? Ferions-nous fausse route ?
« Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes, et trois c’est déjà trop » Georges Clémenceau
Depuis 2017 et la Loi Travail, le cadre réglementaire favorise davantage la participation à la définition de la stratégie de l’entreprise. [1] Depuis lors, le Conseil Social et Economique et les élus sont associés aux orientations stratégiques. Mais certaines entreprises n’ont pas attendu la loi pour expérimenter. Chez Hervé Thermique, l’exemplarité du modèle a été source de fierté d’appartenance et en a accéléré le succès tout en renforçant le statut de leader innovant de son président Michel Hervé (Le modèle Hervé Thermique ou la flexibilité sans précarité, Michel Hervé et Alain d’Iribarnen Journal de l’Ecole de Paris de Management – 2006). Et ce modèle n’est pas reste, les bonnes pratiques se sont multipliées de par le monde.[2] Le postulat étant que l’engagement du salarié est accéléré par sa prise de responsabilité, on ne peut plus imaginer motiver une équipe sans cette participation à la définition de la stratégie.
“Le leadership : c’est l’art de faire faire à quelqu’un quelque chose que vous voulez voir fait, parce qu’il a envie de le faire.” Dwight Eisenhower
Pour autant, la co-construction de la stratégie rencontre un certain nombre de limites pour le leader. Il se heurte à un tempo décisionnel devenu nécessairement plus rapide et à un risque, si elle est mal menée ou mal expliquée, de freiner les initiatives par un collectif réfractaire au changement. Ainsi, malgré tout le leadership transformationnel dont on peut faire preuve, l’écueil, c’est le manque de vision globale de l’organisation au profit de l’intérêt personnel. Sans vision imposée, il n’y aurait sans doute pas eu de Concorde ou le programme Apollo. Ensuite, le leader doit avoir le courage de trancher : prendre des décisions génère de l’insatisfaction, mais c’est un moindre mal comparé au désordre possible de l’indécision.
Le risque de la co-constructuction pour le leader d’aujourd’hui
« Mieux vaut une injustice que le désordre. »[3] Goethe
Enfin, le dernier risque de la co-construction est la diffusion d’information, source de pouvoir (Analyse stratégique – Michel Crozier et Erhard Friedberg). Et souvent de négociation.
«Je préfère avoir des gens qui pensent que nous sommes confus plutôt que de laisser nos concurrents savoir ce que nous allons faire. » Larry Page
Une chose est certaine : un mauvais recrutement et une absence de formation diluent inéluctablement le leadership au sein d’une organisation. C’est un enjeu possible pour l’enseignement supérieur que de former ces cadres à cette capacité à coconstruire de façon vertueuse l’entreprise de demain.
Anne-Ségolène Abscheidt – Directrice Académique – Réseau Eductive
[1] Loi Travail – 2017 : Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le comité social et économique (CSE) est régulièrement consulté et, à ce titre, est amené à formuler un avis sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sa situation économique et financière, sa politique sociale, ainsi que sur les conditions de travail et l’emploi.
[2] Why Good Arguments Make Better Strategy – Jesper B. Sørensen et Glenn R. Carroll – MIT Sloan Management Review 2021
[3] Siège de Mayence 1793