Ou quand deux anciens élèves du Celsa vont trouver leur professeur pour monter avec lui une entreprise sociale qui, en moins de deux ans, devient un modèle du genre et essaime un peu partout…
Frédéric Bardeau, comment l’aventure Simplon.co a-t-elle commencé pour vous ?
J’enseignais l’innovation numérique au Celsa. Deux anciens élèves avec qui j’étais resté en contact, Erwan et Andréi, sont venus me trouver le jour de la Saint Valentin 2013 avec leur idée : la France manque de 15 000 développeurs informatiques, pourquoi ne pas former des personnes en difficulté ?… On a posé la liste de tous les problèmes à résoudre et quand on a eu trouvé des réponses pour la moitié, on s’est lancés, tous les trois. La société était créée en avril, les locaux d’une ancienne fabrique située à Montreuil investis en mai et la première promotion de 30 personnes (six mois intensifs) lancée durant l’été. On en est à la troisième, importante en ce qu’elle va permettre à la formation de devenir diplômante. Jusqu’ici, 75 % des personnes formées ont trouvé un emploi.
Quel est votre modèle économique ?
On l’invente, en direct. Nous sommes partis sur nos fonds propres, aidés par le coup de pouce d’un banquier un peu fou, puis, grâce aux médias, deux partenaires majeurs nous ont rejoint : Orange et la région Ile-de-France. Les formations aux personnes en difficulté sont gratuites ; ça c’est intangible, mais on vend d’autres formations, sous forme de prestations ; on a déjà fait de l’alphabétisme numérique auprès de 1 500 enfants ; comprendre un minimum le langage des machines est essentiel et, au bout d’une semaine, ces gamins de dix ans réalisaient des choses extraordinaires. On organise également des hackathons, développe des applis, etc. Même si l’on reste une start-up, on est clairement dans l’économie sociale, solidaire même (on a cet agrément) : on est 10 collaborateurs aujourd’hui, mais l’échelle des salaires va de 1 à 5 seulement. Personne ici ne fera fortune ni d’ailleurs ne le souhaite.
Et, depuis, vous avez fait des petits…
En janvier 2014, une élève formée dans la première promo est allé ouvrir une école en Roumanie. Celle de La Loupe, dans le Perche, en pleine campagne, a ouvert en octobre 2014, celle créée à l’initiative des élèves de l’Ecole Centrale Marseille, dans leurs locaux, reçoit sa première promo dans quelques jours. Lille, La Martinique, Bamako, le Brésil… chaque projet est différent ; on aide et on suit la jeune pousse durant un an, ensuite chacun vole de ses propres ailes.
L’avenir ?…
On souhaite vraiment augmenter notre impact social ; faire bouger les choses, s’élargir davantage encore pour commencer : aux personnes en situation de handicap, aux femmes, largement sous-représentées dans le secteur, aux détenus, aux seniors… On fait du prosélytisme et on est très actif dans le mouvement social, auprès de France Digital et du Conseil National du Numérique, qui nous écoute, parfois, comme en ce qui concerne le dossier « Jules Ferry 3.0 » dédié à la révolution numérique à l’école. Ici, ce sont nos élèves qui, suivant le principe du « cours d’avance », forment les 500 personnes qu’on enseigne à distance sur ce qu’eux-mêmes ont appris un mois plus tôt. Non seulement l’enseignement est ainsi mieux intégré, mais cela les autonomise, les responsabilise, leur donne confiance, etc. c’est la partie « enpowerment » du concept. Nous allons également diversifier les formations : administrateur système et ces « référents numériques » (l’équivalent des services généraux de jadis) que tout le monde recherche. Tout faire pour renforcer l’e-inclusion, aider les gens à resocialiser grâce au numérique. On est un écosystème assez hybride, c’est certain, situé au carrefour de la formation, du numérique, de l’emploi et de la solidarité, innovant dans divers domaines avec passion, ce qui nous a d’ailleurs valu d’être invité au congrès mondial de l’innovation dans l’éducation, le WISE, organisé, cette année, au Qatar.
JB