Le digital présente trois enjeux intimement liés qu’il nous faut relever simultanément.
Il s’agit en premier lieu de faire levier des technologies pour les nouvelles capacités qu’elles offrent à l’enseignement : échanges facilités à distance, meilleur suivi des apprenants, par exemple. La technologie nous permet de concevoir de nouveaux formats de programmes, hybrides, qui permettent d’atteindre de nouveaux publics, de mieux ancrer l’apprentissage dans le temps, de redistribuer l’apprentissage individuel et collectif, etc. C’est un axe d’action mais il ne doit pas être le seul.
Parce que l’enseignement ne peut être à l’écart de la société et de ses transformations, nos pédagogies doivent également intégrer les nouveaux comportements qui émergent avec le digital. La tendance est, par exemple, à l’« adaptive learning », soit le fait de proposer des parcours d’apprentissage personnalisés, centrés sur les besoins uniques de la personne, et dynamiques en tenant compte de leur évolution. L’ « adaptive learning » s’appuie sur les neurosciences, la psychologie cognitive et le potentiel de l’analyse des données. Mais, il fait aussi écho aux attentes croissantes de « customisation » qui se révèlent avec le digital et les pratiques du marketing digital, en particulier. De même, le « social learning » trouve sa source dans le développement du web social et les nouveaux comportements participatifs et collaboratifs qui en émergent. Si nos pédagogies doivent refléter ces tendances, nous ne devons pas simplement céder à la mode et les adopter aveuglément. Tout d’abord, elles renvoient souvent à des principes anciens qui infusaient déjà la pédagogie.
Ce qui est fondamentalement nouveau est notre responsabilité à développer le sens critique de nos étudiants vis-à-vis des transformations digitales et de les aider à acquérir les compétences nouvelles qu’elles requièrent. Prenons le thème de l’information : elle est désormais massive et à tout moment disponible. Toute information est-elle pour autant fiable et utile ? Constitue-t-elle pour autant un savoir exploitable ? Nous intégrons l’usage d’outils de veille collaborative dans certains de nos programmes : justement pour développer l’ « information literacy » de nos étudiants en matière de veille, de traitement et d’exploitation de l’information. Il s’agit d’une compétence clé pour tout manager ou futur manager.
C’est ici qu’intervient notre troisième enjeu : celui de former les dirigeants et les futurs dirigeants des entreprises à aborder un monde complexe, incertain, en évolution rapide, également marqué par de nouveaux rapports entre l’homme et la machine. Le digital transforme toutes les fonctions de l’entreprise. Au plan stratégique, il rebat les cartes des univers concurrentiels et des chaînes de valeur. Il bouleverse l’ordre établi des organisations vers plus d’horizontalité, de transversalité, d’ouverture, d’expérimentations, etc. Les modalités de la prise de décision se trouvent affectées par l’usage de la data, etc. Les aptitudes des managers doivent évoluer en conséquence. Il en est de même de nos pratiques pédagogiques qui doivent accompagner l’acquisition de nouvelles compétences et aptitudes, au-delà de l’acquisition de nouveaux savoirs : la posture entrepreneuriale, la créativité, l’éthique, etc. Cela a d’ailleurs peu à voir avec l’usage des technologies, mais avec des dispositifs qui donnent la plus grande part à l’expérience et la capacité d’apprendre de ces expériences. Les concours d’innovation, les ateliers de design-thinking, les incubateurs au service de projets concrets en sont des exemples. Notre plus grand défi est de préparer nos étudiants à des métiers qui évoluent rapidement et… un monde qui n’existe pas encore. Développer la réflexivité est un moyen d’y parvenir. Stimuler la capacité à détecter les signaux faibles, encourager la curiosité, adopter de nouveaux points de vue est également primordial. C’est pourquoi nos cursus doivent être transdisciplinaires en étant ouverts aux sciences mais aussi en connectant toutes les disciplines qui façonnent la société numérique.
Conclusion
Ainsi, notre enjeu est de faire la synthèse de ces trois dimensions : le digital au sens de l’utilisation des technologies au service de l’enseignement ; le digital dont les usages requièrent de nouvelles compétences et une certaine prise de recul ; le digital comme facteur de transformation des entreprises et de la société qui appelle de nouvelles capacités à appréhender le changement. Pour réussir cette synthèse, nos écoles doivent concilier leur rôle de passeur de savoirs et de laboratoires propices à l’expérimentation.
Par Karine Le Joly,
Director of Innovation, HEC Paris Executive Education