Parce que la pauvreté non plus que la surexploitation des ressources naturelles comme des êtres ne sont nullement une fatalité, des dirigeants d’entreprises de plus en plus nombreux agissent et démontrent au quotidien qu’une autre économie est possible. Et les dirigeants des grandes écoles et universités ne sont pas en reste !
Qui aurait pu imaginer
il y a quelques années encore que tandis que le n°1 de Danone, Franck Riboud, participait au Forum de Davos, grand-messe du capitalisme décomplexé, le n°2 de ce même groupe, Emmanuel Faber*, défendait de son côté les thèses d’une économie plus solidaire au « contre » Forum Social Mondial ?… Tel est pourtant le cas et Danone, loin d’avoir sombré dans la schizophrénie, se porte très bien, merci. D’ailleurs, le géant alimentaire est loin d’être un cas isolé ainsi qu’en atteste l’excellent ouvrage « Les grandes entreprises et la base de la pyramide » écrit par trois jeunes diplômés des grandes écoles (voir encadré). Mais si notre trio a concentré son étude sur les grands groupes, la taille de l’entreprise importe peu et il se crée aujourd’hui de plus en plus de business dont l’action sociale ou écoresponsable constitue le coeur même du modèle économique, et qui marchent ! « Social business », le rapprochement entre ces deux mots a longtemps fait sourire les milieux financiers. Plus aujourd’hui, et quand Tristan Lecomte (HEC), fondateur d’Alter Eco et de Pur Projet fait la couverture des magazines d’économie pour être entré dans le Top 100 des personnalités les plus influentes du on se dit qu’il se passe quelque chose dans le royaume d’Economia. Quelque chose de plutôt sympathique… En atteste le succès considérable, notamment auprès des étudiants, rencontré par la Social Good Week en octobre dernier. Tout comme celui des désormais rituels TEDx français, ces soirées durant lesquelles de jeunes chefs d’entreprise viennent présenter la déclinaison personnelle par laquelle ils entendent, via les nouvelles technologies, rendre le monde meilleur.
Le grand tournant
Et de se référer abondamment aux pionniers de « l’économie à visage humain » : Mohamed Yunus, bien sûr, prix Nobel et inventeur du microcrédit, mais plus encore C.K. Prahalad, mort en 2010 et grand initiateur de la prise en compte du BOP (« Bottom Of the Pyramid », les plus pauvres) dans le business ; un physicien de formation considéré par beaucoup comme LE penseur le plus influent de ce début de siècle en matière d’économie. A l’époque de ces « pères fondateurs » fait donc suite à présent celle de l’expérimentation généralisée. Rien qu’en France, plus de 300 entreprises ont créé une fondation et s’investissent dans le social, quatre fois plus qu’il y a dix ans ! Et pas seulement pour ce « petit supplément d’âme » qui donne bonne conscience, mais parce que, partout sur la planète, ayant touché du doigt les limites du matérialisme, les gens sont de plus en plus nombreux à désirer concilier carrière et sens, les dirigeants comme les autres. Des dirigeants qui, pour partager expériences et bonnes pratiques se regroupent au sein de mouvement patronaux tel le CJD, ce Centre des Jeunes Dirigeants défenseur d’une « performance globale » qui replace « l’humain au coeur de l’entreprise », ou ces Entrepreneurs d’Avenir, « pionniers d’une économie plus humaine ».
Les écoles à la rescousse !
Une bande de doux illuminés, sans doute ?… Que nenni. Juste des dirigeants ayant compris qu’ainsi que l’explique Roger Sue** : « Le social, le bien commun et le service public sont désormais au coeur de la richesse ». Pour ce professeur (Sorbonne, CNRS) de sciences humaines et sociales en effet, « la crise financière est l’ultime dérèglement de l’ancien modèle économique et l’explosion des dépenses et endettements publics avant tout l’irrépressible montée d’un nouveau modèle de développement fondé sur le capital humain, l’individu, la connaissance, la compétence, la santé et le lien social… ». L’économie durable et solidaire aurait donc fait son entrée à l’école ? Et comment ! Fort de sa successstory exemplaire à tous points de vue, Tristan Lecomte donne désormais des cours à HEC. Passant de l’expérimentation à la diffusion, l’Ecole des mines de Nantes propose aux autres écoles son UV de 60 heures consacrée au développement durable et mise en place en 2007. Bernard Belletante, directeur générald’Euromed à Marseille explique qu’ils ont « revu la notion de performance, ajoutant aux cours de la bourse, les critères de performance sociale et énergétique » tandis que Franck Vidal, le directeur général d’Audencia Nantes raconte comment ils ont changé de postulat : « Au lieu de nous demander si nous sommes responsables des dérives du capitalisme, nous partons du postulat que nous le sommes et pouvons donc changer la donne, appuyant sur un développement durable qui représente déjà 15 % de nos cours et va passer à 20 % ». Même réorientions concrètes à Sup de Co La Rochelle, l’INSA Lyon, Supélec, l’UVSQ (Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines), etc. Quant à savoir si l’on peut réellement attendre que le changement vers un monde meilleur passe par l’entreprise, Cynthia Fleury, professeur de philosophie (Polytechnique, IEP Paris) note que depuis quelques années, elle sent un vrai « frémissement ». La génération actuelle « ayant dépassé le désespoir ambiant, entend se colleter avec le concret et le transformer. Or l’entreprise est un formidable laboratoire où le leadership est plus efficient qu’ailleurs. L’impulsion donnée par un petit nombre y possède le pouvoir, juridiquement comme concrètement, de faire évoluer l’ensemble de la structure. Ce, bien plus facilement qu’à l’échelle d’une administration ou d’une collectivité publique ».
Moralité, si vous voulez changer le monde : engagez-vous… dans l’entreprise !
* « Chemins de traverse – vivre l’économie autrement », Emmanuel Faber, éditions Albin Michel
** « Sommes-nous vraiment prêts à changer ? » Roger Sue, éditions Les Liens qui Libèrent.
BOP, pas bof !
Ils sont trois camarades de promo sortis des Mines ou de Polytechnique, voir des deux. Trois copains qui, une année durant, ont enquêté auprès de cinq grandes entreprises françaises pionnières du fameux BOP, le business avec le « Bottom Of the Pyramid », comprenez les plus pauvres parmi les pauvres. Danone avec son programme de nutrition infantile au Bengladesh, Véolia et l’eau potable au Bengladesh, Lafarge et l’habitat en Indonésie, Schneider et l’énergie en Inde ou en Afrique et enfin Essilor et la santé visuelle en Inde. Pour qui ? Pourquoi ? Comment ces projets sont-ils vécus à l’intérieur des sociétés ? Pour quels résultats de chaque côté ?… Notre trio pose toutes les questions et apporte bien des réponses, balayant au passage optimisme excessif et suspicions infondées. Un travail qui fera référence.
« Les Grandes Entreprises et la Base de la Pyramide » Stéphane Calpéna, Laurent Guérin, Yves Le Yaouanq, éditions Presses des Mines
JB