Lors des Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984, Fujifilms avait détrôné Kodak en tant que partenaire officiel des JO, lui permettant ainsi de bénéficier d’une exposition médiatique sans précédent et en corollaire association avec l’événement – qui date de 1896 – Kodak a eu recours à d’autres formes d’associations avec les Jeux Olympiques, notamment en sponsorisant les retransmissions télévisées des compétitions. Ce faisant, Kodak ne contrevenait pas aux règles du Comité International Olympique, mais il nuisait considérablement l’efficacité de l’action du sponsor officiel. Des cas similaires ont régulièrement lieu lors de grandes manifestations sportives ou culturelles, ce qui a incité les organisateurs de ces événements, et du CIO en particulier, à s’attaquer de manière plus formelle à l’ambush marketing. En français, le terme de marketing « en embuscade » est souvent utilisé pour dénoter cette pratique. Elle consiste à associer le nom de marque d’une entreprise à un événement sportif sans pour autant être un sponsor officiel de cet événement. Pratiquement, cela peut se faire en diffusant un grand nombre de publicités lors de l’événement et peut-être d’y faire référence de façon directe ou subtile, avec un but inavoué d’améliorer son image en bénéficiant de l’image de l’événement sportif. La preuve que l’ambush marketing s’étend est l’apparition d’agence spécialisée dans cette pratique. S’il fallait identifier des raisons de son succès il faudrait aller chercher du côté des organisateurs des événements sportifs : l’explosion des budgets de ces événements. Il suffit de se souvenir des fastes de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques à Londres en 2012 pour s’en rendre compte. Par conséquent, les montants impliqués dans les contrats de sponsoring ont augmenté de façon exponentielle. Par ailleurs, les organisateurs d’événements se gardent bien d’accueillir des concurrents directs parmi leurs sponsors. Ces deux éléments vont mécaniquement restreindre le nombre d’entreprises capables de s’y associer. Mais pas celles désireuses de s’y associer.
L’ambush marketing est aussi parfois dénoté comme parasite et l’image est assez juste. En effet, l’ambush marketing vient véritablement parasiter le cerveau des consommateurs, puisque ceux-ci ne perçoivent pas nécessairement la différence entre de « vrais » et de « faux » sponsors lorsqu’ils sont exposés à des annonces pendant des événements sportifs. Plusieurs études réalisées dans des conditions fortement contrôlées, ont montré que les participants à l’étude ont plutôt tendance à mentionner des noms de marques cohérentes avec la discipline sportive ou avec l’événement sportif, ce qui provoque de nombreuses erreurs de mentions. Mais pire pour les sponsors officiels : le taux de reconnaissance des marques sponsor est largement erroné, en d’autres mots, lorsqu’on présente une liste de marques aux consommateurs en leur demandant de cocher celles qui sont sponsors d’un événement, environ 44 % des personnes interrogées se trompent de marque.
Lorsqu’on interroge des professionnels du sport ou de la communication, ceux-ci estiment généralement que le consommateur moyen ne se rend pas compte de la pratique, ce qui la rend d’autant plus efficace. Ils estiment aussi que la pratique continuera à se développer. En effet, l’ambush marketing s’inscrit dans le contexte d’une stratégie de challenger qui peut montrer un esprit rebelle, provocateur, impertinent. Il s’agit aussi d’une stratégie plus intelligente que celle des sponsors officiels et qui séduit particulièrement la cible privilégiée des événements sportifs, soit les 12-20 ans. Ceuxci sont attirés par l’anticonformisme et pensent que les actions des sponsors officiels sont « ringardes ». En effet, les résultats d’un sondage auprès d’un groupe de 100 étudiants sur leurs attitudes envers la pratique, montrent des attitudes plutôt favorables. Les étudiants pensent effectivement que c’est une bonne façon de contrer le pouvoir des vrais sponsors, mais aussi que ce n’est pas une technique à bannir à tout prix. Nous voilà donc dans une situation délicate qui prônerait le développement d’une pratique à la limite de légalité, mais aussi entièrement créée par un petit groupe de très grandes entreprises.
Par Corinne Berneman,
enseignant chercheur en marketing à ESC Saint-Etienne