Le grand Entretien : Hervé Biausser
Alors qu’il va fêter ses dix ans à la tête de l’École Centrale Paris, Hervé Biausser nous a fait part de ses ambitions, en cours de réalisation et pour demain. Il nous parle également d’une génération d’élèves épanouie, généreuse, engagée pour l’avenir et qu’il entend placer sur le chemin de la réussite.
Leader, entrepreneur, innovateur et international ; pour vous ce sont les valeurs cardinales de l’ingénieur centralien
Ces mots clés sont la colonne vertébrale de la stratégie de Centrale, et donc nos évolutions ces dernières années. Notamment la réforme pédagogique du cursus centralien. En décembre dernier, nous avons diplômé la première promotion de centraliens qui a entièrement suivi ce cursus. A côté de connaissances scientifiques et techniques renforcées, nous avons mis à l’honneur ces valeurs qui se traduisent en qualités personnelles, savoir-faire et méthodologies : esprit d’entreprendre, sens de l’innovation, leadership dans un environnement international. Ce sont les invariants de l’ingénieur centralien et d’une école généraliste, grande institution scientifique et technique. Nos bases stratégiques sont notre moteur, ce qui fait que Centrale n’a pas peur du changement. C’est aussi mon rôle en tant que directeur, d’avoir le souci du « coup » suivant, afin que Centrale ait toujours une longueur d’avance. La seule chose immuable, ce sont nos valeurs qui nous guident dans le changement.
Quels objectifs stratégiques avez-vous déployés depuis votre arrivée à la tête de l’ECP en 2003, dans le domaine pédagogique ?
Le projet pédagogique a été mis en œuvre avec succès, mais n’est pas pour autant statique. Je pense déjà à la prochaine étape pour que le cursus centralien reste d’excellence et forme les ingénieurs dont l’économie, l’industrie, le pays ont besoin. Par ailleurs, notre offre de formation globale : masters ; Mastères Spécialisés (dont plusieurs en partenariat avec Supélec, l’ESSEC, EMLYON Business School et l’École des Ponts ParisTech) ; doctorats, a été structurée et intégrée au sein du projet Paris Saclay.
En matière de recherche et d’alliances ?
Nous avons concrétisé une stratégie d’alliances avec notre environnement et en cohérence avec la formation de Paris Saclay. Cela se traduit dans notre rapprochement stratégique avec Supélec, par une mise en cohérence de nos complémentarités en matière de formation et de recherche. Ce sont aussi nos partenariats avec Paris XI et l’ENS Cachan. Dès 2008, nous avons posé les bases de notre participation à la formation du Plateau de Saclay. Centrale sera physiquement installée à Gif-sur-Yvette en face de Supélec, en 2016.
A l’international ?
Notre stratégie internationale est historiquement marquée par notre coopération au sein
du Groupe des Écoles Centrales. Elle s’est notamment concrétisée par la création de Centrale Pékin dont nous venons de diplômer la première promotion. Nous avons atteint une première phase, et nos réflexions pour la suite sont en cours pour diversifier notre offre pays/partenaires. Nous souhaitons accélérer notre politique internationale et aurons dans un ou deux ans, des nouvelles implantations internationales à annoncer. Notre politique internationale s’est initialement centrée sur le cursus ingénieurs, et la politique de doubles diplômes. Ces bases posées, nous entendons accentuer nos efforts de coopération en matière de recherche.
Quel est votre regard sur les Investissements d’Avenir ?
Je me réjouis du succès des projets que nous avons soumis. Centrale a en effet été moteur dans le Labex retenu au premier tour, le laboratoire systèmes et ingénierie de Paris Saclay (LaSIPS) porté par un de nos professeurs. Ce Labex est très fédérateur pour les acteurs de Saclay. Nous faisons aussi partie de 4 autres Labex retenus. Ils visent l’excellence, permettent de développer la recherche en coopération avec nos partenaires de Saclay. Nos alliances stratégiquement imaginées dès 2004, sont en place. L’avenir est devant nous !
A quels moyens sont adossés ces développements stratégiques ?
Nous avons amélioré nos relations avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, que je considère aujourd’hui bonnes et de confiance. Centrale a par ailleurs augmenté ses ressources privées via ses relations avec les entreprises et au travers d’une campagne de mécénat qui à mi-parcours avec 40 M€ levés, a dépassé la moitié de son objectif final de 75 M€ en 2014. Les objectifs de la campagne sont centrés sur nos projets : implantation à Gif, développement de Chaires, soutien à nos opérations internationales et aux élèves au travers de nouvelles bourses.
Quels sont vos nouveaux projets ?
Centrale forme 2 500 étudiants dans l’ensemble de ses programmes. Nous entrons dans une nouvelle logique de développement qui passera par notre alliance avec Supélec. Nous avons déjà annoncé une marque commune Centrale Supélec, et une association de préfiguration qui travaille à ce que sera notre gouvernance et notre organisation. Sur le plan pédagogique, nous avons ouvert une option commune Énergie, et nous préparons de nouvelles options pour 2012. Autre exemple, sur les 5 dernières Chaires montées, 4 sont communes avec Supélec (dont 1 avec l’ESSEC). Nous montons une offre cohérente vis-à-vis de l’entreprise. Cette convergence renforcée fait sens, et ouvre le champ des possibles, de ce que nous pouvons réaliser ensemble. La ligne d’arrivée, c’est pour nous fin décembre au plus tard, nous annoncerons ce que nous ferons désormais en commun. De plus, ce que je souhaite au travers du Plateau de Saclay, c’est la réussite des institutions françaises à l’international. L’alliance des écoles, universités et organismes de recherche est le chemin le plus porteur pour y parvenir.
Le précédent directeur de Centrale – Daniel Gourisse est resté en fonctions 25 ans, vous fêterez vos 10 ans l’an prochain, avec quel sentiment et quelles envies pour l’avenir ?
Le statut de Grand Etablissement de Centrale ne limite pas le nombre de mandats de 5 ans pour son directeur. J’arrive en effet à la fin de mon second mandat. Si le conseil d’administration me fait confiance, je reste ! J’ai engagé trois projets et entends les mener à bien : alliance avec Supélec, installation sur le Plateau de Saclay et réforme pédagogique. Le jour où j’aurais la certitude que notre projet avec Supélec est mené à bien, je serais heureux. Car je suis là pour servir Centrale. J’adhère profondément à ses valeurs, et tant que j’ai la confiance des personnels et conseil d’administration, je poursuis ma mission. Le jour où je douterais de ma capacité à comprendre notre environnement, à penser un coup d’avance pour l’école, j’en tirerais les conséquences. Un proverbe résume bien mon état d’esprit : « Visez les étoiles, au pire, vous atterrirez sur la lune ». On ne peut pas s’arrêter, le monde bouge et ne nous attend pas.
Quel regard portez-vous sur vos élèves ?
Je les trouve épanouis, concernés par les choix de ce monde, montrant un fort intérêt pour la société, les questions politiques, les enjeux économiques, technologiques, environnementaux. Ils ont une sincère préoccupation de l’avenir, ils sont sérieux et réfléchis, même s’ils sont parfois maladroits dans leur manière d’exprimer les choses. Ils ont également un sens du collectif, alors que beaucoup présentent les jeunes générations comme individualistes. Ils fonctionnent en groupes, tribus et autres réseaux. Ils sont vraiment dans l’échange, et pas uniquement virtuel, ils ont conscience de la nécessité du présentiel dans leur relation à l’autre. Ils ont donc des personnalités affirmées, évoluent bien dans une société plus difficile qu’hier, moins maternante. Je leur trouve enfin une belle générosité dans leurs engagements associatifs, ils sont d’une grande réactivité face à ce qu’ils considèrent comme injuste.
A quoi rêve Hervé Biausser ?
Pour Centrale ?
Qu’elle soit considérée comme une référence à l’échelle internationale, pour la mise en œuvre des valeurs qu’elle porte. Je souhaite une reconnaissance sociale de la valeur de nos principes d’éducation. Qu’au travers de notre diplôme, un centralien ait une contribution et en retour une reconnaissance sociale pour cela.
Pour ses élèves ?
Qu’une fois diplômés, ils soient en position de réussir. Que tout ait été fait à l’école pour les placer sur le chemin de la réussite, qu’ils aient pu exprimer leurs goûts, leurs envies et ambitions personnelles et professionnelles, et soient armés pour les mener à bien. Je rêve qu’ils soient des individus forts d’un projet personnel qui soit l’expression de ce qu’ils sont profondément et à la mesure de leurs talents. Enfin, qu’ils continuent à nous surprendre par leurs capacités incroyables. Car ce sont eux qui créent leur époque, trouveront leurs solutions, seront les acteurs du progrès sur un chemin qu’ils auront eux-mêmes construit.
Pour l’enseignement supérieur français ?
Nous vivons une époque où la collectivité nationale a décidé d’un effort pour l’enseignement supérieur afin qu’il soit plus visible et prestigieux à l’échelle internationale. Il n’y a peut-être pas assez de moyens consacrés à cette ambition, mais l’intention est déjà un progrès. Nous sommes dans l’action qui force le système à avancer. Il est clair que les pays émergents aspirent à un autre modèle d’enseignement supérieur que celui qui domine actuellement. C’est l’occasion rêvée pour impulser une nouvelle ambition, imaginer ce modèle. Nous devons le faire ensemble, tous les acteurs du supérieur, en capitalisant sur nos atouts liés à la structure de notre enseignement supérieur sur trois piliers : universités, grandes écoles et organismes de recherche.
Et pour la France ?
Le pays fait face à de vraies difficultés. Mais à mes yeux, un problème domine les autres et largement : le chômage. On ne peut bien vivre dans une société qui dit à ses jeunes : un quart d’entrevous n’aura pas de travail. Mon rêve pour la France serait d’un coup de baguette magique de faire disparaitre le chômage ! Une société sans chômage et tout change du tout au tout ! Je rêve que la France crée desemplois, un modèle de croissance et de développement économique renouvelés, mais aussi une société plus fraternelle, ouverte et qui accepte la différence.
A. D-F