La route pour Kuelap étant fermée à partir de 8 heures du matin, le directeur de l’agence de tourisme nous a bien prévenues : attention, il faudra partir dès 6h30 pour être certains de pouvoir passer. Malgré un sommeil perturbé par la musique tonitruante d’un portable qui nous parvient du mur de gauche, par les éclats de voix que l’on perçoit à travers la porte en face, et par l’ambiance festive du bar situé sous la fenêtre à droite, sans compter mon somnambulisme inopiné qui a réveillé Elise en sursaut, me découvrant dressée dans le lit, en train de montrer la porte et de marmonner en espagnol « on doit sortir là-bas », malgré tout cela, à 5h30, nous sommes levées, et en forme.
Dès l’aube, nous voila donc bringuebalées dans un minibus de compétition sur les routes cabossées du Nord du Pérou, en compagnie de cinq autres touristes. Habituée depuis mon arrivée à Lima à être entourée de Péruviens qui ne comprennent pas un mot de Français, je ne me gêne pas pour parler de tout et de rien avec ma compatriote Elise, sans retenue et sans censure, et pour pester contre le jeune homme assis juste devant moi qui ne cesse de renifler. Manque de bol, j’apprendrais par la suite qu’il comprend parfaitement le français.
Arrivées en fin de matinée sur le site archéologique de Kuelap, une guide locale (Maria Rosa, Rosa Maria, ou quelque chose comme ca), nous prend en charge. Derrière son regard dur et son visage fermé, peu souriant, qui rend l’échange difficile et nous refroidit un peu, on sent tout de même l’attachement qu’elle porte pour sa terre, sa région, son pays. Elle en parle avec fierté, avec orgueil, et sur le chemin qui mène à la forteresse, elle ramasse avec soin chaque emballage laissé négligemment par le touriste peu respectueux de la nature, et qui entache la beauté du lieu qu’elle a la responsabilité de protéger.
Le site archéologique de Kuelap, situé au Nord du pays, est considéré au Pérou comme une sorte de deuxième Machu Picchu moins touristique. Dans les deux cas, après avoir arpenté un chemin escarpé et pentu, l’on découvre soudainement, au cœur de la montagne, comme surgies de nulle part, les ruines encore bien conservées d’une cité perdue, cachée des yeux du passant. Mais parce que Kuelap est pour l’instant (et probablement plus pour très longtemps) moins connue, moins exploitée commercialement que le Machu Picchu (en partie parce que Kuelap, elle, n’a pas obtenu le titre prestigieux de merveille du monde), les efforts déployés pour sa rénovation ont été moins significatifs. Il y a donc une partie de cette cité qui n’a pas encore été restaurée et dans laquelle la nature a repris ses droits : les lianes encerclent la pierre et la font disparaitre sous une couverture verdoyante. C’est personnellement l’aspect de ce site qui m’a le plus touchée : la rencontre entre le témoignage du passage de l’homme il y a quelques siècles, et la présence actuelle de la végétation est magique.
C’est au cours de la civilisation Chachapoyas que fut construit ce complexe architectural, achevé approximativement dans les années 1000, mais, qui, comme le Machu Picchu, n’a été découvert que tardivement, en 1843 en l’occurrence. Forteresse militaire, lieu de production agricole ou cité fortifiée ? La fonction exacte reste incertaine mais l’ensemble, perché à 3000 mètres d’altitude, n’en reste pas moins impressionnant : on y découvre quelques 400 demeures circulaires entourées d’une haute muraille (jusqu’à 30 mètres en certains endroits) percée de trois portes, et d’où l’on peut se laisser saisir par le paysage à couper le souffle situé de part et d’autre de l’enceinte.
Apres une visite guidée de l’ensemble du site, un coup d’œil aux crânes que l’on aperçoit à travers les fentes d’un édifice, la découverte d’un trou secret, apparemment connu de la seule Maria Rosa (ou Rosa Maria, ou quelque chose comme ca) donc-vite-dépêchez-vous-de-le-reboucher-avant-que-les-autres-guides-ne-le-découvrent, trou qui permettait aux Chachapoyas d’évacuer le sang après y avoir coupé des têtes en guise de sacrifice humain, tout cela en croisant régulièrement des lamas venus brouter nonchalamment les herbes qui s’échappent des ruines, notre guide conclut ses explications par un petit discours fujimoriste, vantant les mérites de l’ancien président qui rendait souvent visite aux habitants de son village, et fustigeant le président actuel, Ollanta Humala, qu’on ne voit jamais par ici. Mais notre esprit est ailleurs et déjà, nous pensons à notre excursion du lendemain qui nous amènera à la catarata de Gocta, la troisième cascade plus haute au monde.
La suite et fin le 21 aout sur notre site : www.journaldesgrandesecoles.com
Pour l’épisode précédent, c’est par ici : https://www.mondedesgrandesecoles.fr/une-demi-douzaine-de-mois-au-pays-des-lamas-episode-vi-chachapoyas-ou-de-l%E2%80%99utilite-de-prier-les-dieux-incas/
Claire Bouleau, étudiante en Master 2 à ESCP Europe, en échange universitaire à la Universidad del Pacífico (Pérou) de mars à août
Twitter @ClaireBouleau