Un jeune diplômé de Grande Ecole usurpe le nom d’un célèbre sociologue. Relooké en barbu insolent, il égrène sur le net ses railleries métaphysiques sur les voleurs de frites, les clubbers narcissiques et les frivolités du quotidien. Résultat ? Seize mois plus tard, le blog de Steeve le Sociologue a dépassé le million de pages vues, et empoche le prix du Meilleur Blog de l’Année. Qui a dit que la sociologie n’avait pas d’avenir ?
Surprise et déception lorsque dans café, un jeune homme sans barbe, sans cardigan rayé et même, sans lunettes de soleil, arrive dix minutes en retard pour l’interview de Steeve le Sociologue. Tant pis, on fera comme si… Bon, alors, qu’est ce qui t’as poussé, Steeve – Je veux dire, Jérémy – à lancer un blog pareil ? Tu te moques de la terre entière, et les gens en redemandent. Surferais-tu sur un certain cynisme ambiant ? Le Sociologue dément : en démarrant son blog, il n’avait pas encore de ligne éditoriale. Un ami relit l’un de ses textes et l’encourage à poursuivre sur le net. « Je me suis mis à écrire ce qui me passait par la tête, en pensant surtout à faire rire mes amis.» Dès le départ, Jérémy confie sa plume à Steeve, un personnage fictif prétentieux et hautain. Petit à petit, le caractère de son blogueur s’affirme : « Steeve, c’est le looser qui sommeille en moi – et en chacun de nous, suggère Jérémy avec un sourire. Il se fait toujours avoir dans les petites décisions du quotidien. » Et si les préoccupations du Sociologue sont simples et hédonistes, il ne reste pas moins prompt à l’autodérision en toutes circonstances.
Pour autant, Steeve va-t-il parfois trop loin ? Du backpacker idéaliste au hipster-suiveur, en passant par l’employeur hypocrite jusqu’aux niaiseries féminines, tout le monde en prend pour son grade, mais avec humour : « Ces personnages, ce sont des caricatures qu’on ne retrouve jamais dans la réalité et qu’on incarne tous un peu à la fois. Il y a beaucoup d’autodérision là-dedans : moi aussi, j’adore backpacker, faire le hipster, découvrir de nouveaux endroits… L’idée n’est absolument pas de critiquer ou de juger. J’adore rire de tout, faire de l’humour avec n’importe quoi. » Ah ! Oui, le voilà, l’ingrédient magique qui fait que malgré tout, on retourne lire le Sociologue : il nous fait rire. De l’open space aux bancs de l’université, voilà qu’on sourit en silence derrière l’ordinateur… « J’aime beaucoup me pencher sur la question des micro-décisions », explique Jérémy. Par exemple, le choix du montant qu’on ajoute à une cagnotte d’anniversaire, le sans-gêne de l’urinoir, ou encore, la disgrâce de voler les frites de son voisin… « Ce sont des comportements qu’on n’analyse pas beaucoup parce qu’ils sont dérisoires, mais le fait de porter attention à des choses sans importance crée justement le rire. » Passer au peigne fin les petites mesquineries et vanités du quotidien n’était pas le pari le plus simple, et Jérémy le reconnaît : le personnage de Steeve l’a aidé dans ce rôle. « Je passerai pour un nihiliste prétentieux si je m’exprimais en mon nom. C’est parce que le personnage de Steeve est fictif qu’on lui permet de dire ces choses. Cela me donne une liberté de ton assez incroyable. »
Mais comment le blog de Steeve le Sociologue est-il passé d’un audimat local, concentré au réseau d’une école de commerce, à une audience plus large touchée par les questions de la génération Y ? Au début de l’année, le site du Sociologue comptait seulement quelques centaines de Like. Le virage se produit en mars 2014 : un design plus moderne et quelques articles populaires font monter la réputation du site, pour atteindre un pic de deux-cent mille visiteurs. A son grand étonnement, Jérémy décroche début novembre le prix du Golden Blog Award dans la catégorie Art & Culture, et, surprise ! Le prix du Meilleur Blog de l’Année. De qui faire monter à la Lune notre jeune blogueur, toujours avec lucidité : «C’est complètement absurde, il y avait 15 000 blogs inscrits… Et je ne savais même pas que ce deuxième prix existait ! » Le Sociologue parviendra-t-il à faire rire ses lecteurs sur les tribulations d’un blogueur candidat aux Oscars sans gonfler ses chevilles ?
La suite dans le prochain épisode…
Alizée Gau
Pour consulter le blog : http://lesociologue.com/
Morceau de bravoure : L’ouverture d’un cadeau en public ne va jamais sans quelques sérénades protocolaires. « Le Discours, Le Discours » scande ainsi un premier collègue générateur de gêne infatigable. Sur le moment, vous aimeriez bien lui vomir de la béchamel sur son front poilu. Cette tentation se heurte aux conventions sociales qui jugent « pas cool » le fait de vomir sur son collègue de travail le jour de son pot de départ. Vous soumettant donc à la liesse populaire qui exige quelques mots du roi de l’évènement, vous entamez un discours avec le charisme d’une chaussette dépareillée pour remercier les contributeurs présents: « Merci aux RH d’avoir rendu possible ce pot de départ en ne m’offrant pas de CDI… » Extrait de « Quelle attitude adopter lorsqu’on reçoit un cadeau de merde en public ? »