Le Rôle des Mangas dans la Société Japonaise

Pistes de réflexion sur un phénomène unique au monde

Se demander si le manga est un reflet fidèle de la société japonaise est une question importante, car une réponse affirmative suggérerait un intérêt pédagogique du manga, dont la lecture permettrait alors d’apprendre sur certains éléments de la société japonaise. Or, à la base, on peut s’interroger sur la pertinence d’un tel sujet, le manga étant traditionnellement considéré en Occident comme un divertissement populaire bas de gamme, n’ayant rien en commun avec le véritable Japon, incarné par la morale confucéenne, un sens de l’honneur et un respect des tradition des samouraïs et un certain savoir faire en matière de jardins (cerisiers, bonzaï). Cependant, l’opposition entre d’un côté un manga populaire et marchand et de l’autre un « art noble », une haute culture destinée aux élites et représentant la vraie âme du Japon, est-elle réellement fondée ?

Le manga constitue par définition une bande dessinée, la plupart du temps en noir et blanc, qui se distingue des publications étrangères par son petit format. Celui-ci s’est affiné au cours du temps : d’abord présenté sous formes de simples rouleaux, le manga a peu à peu intégré les exigences de fidélisation du lecteur en prenant pour modèle les « strips » américains, puis en forgeant le format original d’aujourd’hui. Les histoires, divisées en chapitres, sont habituellement publiées dans des magazines spécialisés de prépublication, adressés à un lectorat bien défini.

Dans un premier temps, et loin des stéréotypes et de la mauvaise réputation qui collent à la peau des mangas en Occident voire au Japon, ceux-ci peuvent être perçus comme un miroir de la société japonaise : à l’instar du Japon de l’après seconde guerre mondiale, le manga s’est lancé dans le chemin de la croissance en imitant d’abord les modèles occidentaux (les dessins animés Disney et les films hollywoodiens), mais pour ensuite mieux les dépasser. Avec des pionniers tels Osamu Tezuka (Astro Boy) ou Akira Toriyama (Dragon Ball) et plus récemment Eiichiro Oda (One piece), le manga est aujourd’hui devenu une industrie florissante et un produit d’exportation majeur. On estime ainsi en 2007, que le manga représente un marché de près de 406 milliards de yens, soit 3,6 milliards de dollars, ce qui en fait le premier objet de publication au Japon. En outre, il semblerait que les bandes dessinées occidentales telles les Comics américains ou les BD européennes soient progressivement supplantées par l’essor du manga.

Au-delà d’un miroir économique de la société japonaise, le manga peut aussi être vu comme un miroir historique, dans le sens où influences passées (arts martiaux, samouraïs, etc.), présentes (crise économique, environnement, etc.) et futures (nouvelles technologies, etc.) inspirent fortement les mangakas. La guerre et ses scènes de violence sont aussi un des principaux thèmes développés.

Une autre approche conduit plutôt à inverser l’angle d’attaque en voyant dans le manga non seulement le miroir, mais aussi une source d’influence de la société. Dans cette optique, on pourrait évoquer l’identification des lecteurs aux héros de leurs mangas préférés, ainsi que les thèmes et valeurs développés dans les mangas, aux personnages, aux stéréotypes qu’on y retrouve, et auxquels les lecteurs s’identifient. Effet pervers de cette grande influence, les autorités japonaises ont très tôt perçu l’intérêt stratégique du manga, qu’elles ont cherché à contrôler (censure, propagande, etc.), durant les deux guerres mondiales notamment. Cependant, le manga est aujourd’hui davantage un précieux moyen d’expression (condition de la femme, valeurs traditionnelles et préoccupations philosophiques notamment).

De manière générale, le manga joue un rôle important au Japon, dans le sens ou il fait office d’exutoire à des lecteurs étouffés par les rigidités de la société japonaise. Mais limiter le manga à un simple moyen d’évasion serait réducteur, car le manga a sa force propre, en étant à la fois un miroir et une source d’influence de la société japonaise.

Christopher Lagelee pour TRIBUNES

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