Directeur du Cnam-Enjmin, Axel Buendia pilote l’unique formation publique dans le domaine du jeu vidéo en France. Face à une industrie en constante mutation, il revient sur les enjeux de la formation, l’évolution des cursus et la nécessité de diversifier les profils pour mieux répondre aux défis du secteur.
Vos formations couvrent tous les domaines et les métiers de la création numérique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le jeu vidéo est un sport d’équipe où des étudiants issus de cultures et de parcours variés doivent apprendre à collaborer. C’est l’un des atouts majeurs de nos formations : préparer nos étudiants à s’intégrer et à interagir avec différents profils, qu’ils soient programmeurs ou artistes. Nous proposons ainsi un master historique en Jeux et médias interactifs numériques, décliné en six parcours : conception sonore, conception visuelle, ergonomie et UX, game design, management de projet et programmation. Très sélectif et reconnu, il accueille chaque année une soixantaine d’étudiants, sur 450 candidatures reçues. L’admission se fait sur dossier, où les candidats doivent analyser un aspect du jeu vidéo selon un thème imposé et répondre à des problématiques techniques liées à leur spécialité. Grâce aux compétences acquises, nos étudiants sont très recherchés, y compris par des secteurs hors du jeu vidéo mais qui utilisent des technologies similaires, comme la 3D temps réel ou les interfaces interactives. Pour répondre à cette demande, nous avons créé une formation d’ingénieur Informatique et numérique, axé sur les technologies du jeu vidéo et des systèmes interactifs appliqués à l’industrie. Enfin, afin d’élargir l’accès à la filière et d’attirer des profils diversifiés, nous avons également ouvert deux licences : Informatique parcours jeux vidéo et Arts numériques pour le jeu vidéo, permettant aux étudiants de se spécialiser dès la sortie du lycée.
Ces licences ont d’ailleurs une véritable particularité.
En effet, elles se distinguent par leur format en apprentissage, une approche encore peu répandue dans l’industrie du jeu vidéo, où les studios privilégient généralement des profils plus expérimentés et disponibles à plein temps. Pour répondre à cette réalité, nous avons mis en place un modèle hybride : des cours entièrement en ligne, que les étudiants peuvent suivre à leur rythme, combinés à une expérience pratique de trois mois en début de licence durant lesquels ils conçoivent un jeu vidéo. Cette immersion leur offre des compétences concrètes, facilitant ainsi leur intégration en entreprise.
En parallèle, le master international Video games and interactive media devrait voir le jour en septembre 2026. Quel en est l’objectif ?
L’ambition de ce programme est de capitaliser sur notre renommée pour attirer 120 étudiants dans ce master conçu spécifiquement pour un public international. Plus onéreux que la formation publique, il s’adresse aux étudiants de premier cycle souhaitant se spécialiser dans la conception et le développement de jeux vidéo, qu’il s’agisse de productions indépendantes ou de superproductions AAA, et d’étudier dans un environnement interculturel tout en bénéficiant du savoir-faire français. Tous les cours sont dispensés en anglais par des universitaires renommés et des professionnels de l’industrie. Au-delà de l’excellence académique, ce master vise à favoriser une plus grande diversité dans le secteur du jeu vidéo. En tant que support culturel majeur, le jeu vidéo gagne à proposer des représentations variées, ce qui passe par une plus grande inclusion des profils qui le façonnent.
La féminisation est un autre défi majeur dans le jeu vidéo. Comment y travaillez-vous ?
La présence des femmes reste très faible, notamment dans les formations de programmation. Nous avons eu jusqu’à quatre femmes pour douze places, mais nous n’avons jamais atteint la parité en plus de 20 ans d’existence. Pourtant, les candidatures féminines sont proportionnelles aux admissions, ce qui signifie qu’il y a un manque d’inscriptions dès le départ. En revanche, nous observons une présence plus équilibrée en conception visuelle, ergonomie et gestion de projet. Nous menons des actions de sensibilisation, notamment grâce à une thèse réalisée récemment sur l’intérêt du jeu vidéo en lycées et collèges pour susciter des vocations.
Le secteur, qui pèse davantage que ceux du cinéma et de la musique réunis, traverse une crise inédite. Quelle est votre analyse ?
Nous n’avons jamais eu besoin d’ajuster nos promotions mais nous le ferons si nécessaire, car le nombre d’étudiants formés doit correspondre aux embauches dans l’industrie. En réalité, plus que d’une crise, il s’agit d’un retour à la normale. Pendant la période du Covid, les investissements dans le jeu vidéo ont explosé car c’était une industrie qui marchait très bien, c’était un apport de capitaux délirant, qu’on n’avait pas vu depuis des dizaines d’années. Aujourd’hui, cette bulle a éclaté et on rattrape la courbe d’avant-Covid. L’industrie ne se porte pas plus mal qu’avant, il y a juste eu deux années exceptionnelles et 2025 devrait être une année de stabilisation. Toutefois, comme toute industrie culturelle, l’écosystème des jeux vidéo est saturé : il y a trop de jeux par rapport au nombre de joueurs. En 2022, le Syndicat national du jeu vidéo recensait 1 400 projets uniquement en France. Aujourd’hui, avoir un bon jeu ne suffit plus, il faut savoir le faire connaître. Le marketing est devenu un élément crucial. Malgré cela, la France reste un acteur majeur du jeu vidéo, reconnue pour ses talents et sa capacité d’innovation. Nos formations doivent donc continuer à évoluer pour préparer nos étudiants aux réalités du marché et aux défis de demain.