Le trading hautes fréquences (Higth Frequency Trading), représente une part très importante des volumes échangés sur de nombreux marchés financiers. Pourtant, la proportion d’élèves en grandes écoles ayant déjà ne serait-ce qu’entendu cette expression est très faible. Voici donc une brève présentation de cette finance 2.0.
Loin de ses préoccupations sociales habituelles (une fois n’est pas coutume), XMicroFinance vous propose pour cette édition un article rédigé à la suite d’un travail scientifique réalisé par certains de ses membres dans le cadre de leur formation. L’objectif de cet article est d’apporter un modeste éclairage sur un type de finance relativement récent plutôt méconnu du grand public. Le HFT est une activité financière extrêmement informatisée, remarquable par la vitesse et le volume des transactions. En effet, sur les marchés hautes fréquences, l’unité de temps pertinente est la milli-seconde. Même si les ordres passés sont normalement très petits, leur nombre implique un volume très important.
Qu’est-ce que c’est ?
Le HFT (aussi appelé algotrading) est une forme de finance électronique. Les algorithmes codés par des spécialistes y jouent un rôle central, puisque c’est eux qui émettent des ordres d’achat ou de vente. Les serveurs des salles de marché s’occupent ensuite d’exécuter les transactions. En somme, ces codes contiennent les « stratégies » de leurs créateurs, et les appliquent directement au réel à une vitesse incroyable dont les seules limites sont le hardware.
Le HFT trouve sa genèse dans les années 70, lorsque les marchés financiers commencent à traiter les ordres de façon informatique. A partir des années 2000, l’augmentation de la précision des prix sur les marchés (passée à 0.01 dollar) permet son essor. Aujourd’hui, le trading haute fréquence représente environ 70 % des volumes échangés aux Etats-Unis.
Comment ça marche ?
On peut décrire un marché simplement de la façon suivante. Un carnet d’ordre centralise, pour ce marché, les ordres d’achat et de vente. Lorsqu’un « trader » (ou plutôt, la machine qu’il utilise) décide d’acheter, il peut choisir d’acheter immédiatement, en achetant à d’autres traders qui se sont déjà déclarés vendeurs, ou bien fixer un prix et annoncer la quantité qu’il veut acheter à ce prix. Dans le premier cas, on dit qu’il passe un ordre marché, et l’ordre s’exécute en lui faisant acheter au meilleurprix parmi ce qui est disponible. Autrement, on dit qu’il passe un ordre limite et son ordre est enregistré dans le carnet d’ordre, et attendra qu’un vendeur décide de vendre au prix qu’il propose (cela suppose a priori qu’à ce moment, son prix est le meilleur disponible).
Les algorithmes analysent les données qu’ils captent du carnet d’ordre, ainsi que des informations d’autres marchés, pour élaborer leurs ordres. La possibilité d’émettre de nombreux ordres à grande vitesse et la décimalisation des prix fait que le spread (ie l’écart entre l’ordre limite de vente le plus bas et l’ordre limite d’achat le plus haut), tend à rester constant, égal à la valeur minimale réglementaire. Ainsi, les transactions ne permettent, pris isolement, que des gains minimes. C’est la taille importante des volumes échangés, permise par la fréquence des transactions, qui permet d’engranger des profits. A priori, ce genre de système permet une meilleure circulation de la liquidité, un ajustement des prix beaucoup plus précis, puisque le moindre micro-arbitrage possible sera aussitôt utilisé et donc comblé. Point intéressant, ce genre de finance est très « scientifique », certains traders viennent même du monde de la physique théorique. « L’éconophysique » s’inspire de modèles physiques pour construire les siens. Son cadre dépasse largement d’ailleurs celui du trading hautes fréquences. Selon certains experts du domaine, cette vision renouvelée de l’économie et de la finance est nécessaire. Ainsi, dans un article paru dans Science en octobre 2008, Jean-Philippe Bouchaud, un expert reconnu du domaine, affirme : « Quel est l’exploit de référence de l’économie ? Son incapacité récurrente à prévoir et éviter les crises ». A méditer.
Un système pas encore parfaitement maîtrisé
Les marchés hautes fréquences ont été témoins au cours des dernières années de plusieurs évènements mettant en cause leur stabilité. Le plus impressionnant est sans aucun doute le crash du 6 mai 2010 sur le Dow Jones. Entre 14h42 et 14h47, l’indice a perdu 600 points. En quelques minutes, c’est finalement près de 1 000milliards de dollars de valeurs boursières qui sont partis en fumée ! Un rebond quelques instants plus tard a permis de limiter la casse globale sur la journée.
Néanmoins, cette vitesse de crash sans précédent n’a pas encore été complètement expliquée par les experts, et a fait couler beaucoup d’encre (voir à ce sujet lerapport de la SEC s’y rapportant). Des actions ont été échangées à 1 cent quand d’autres l’ont été à 100 000 dollars ! Cet évènement financier grave, de portée internationale, a depuis été baptisé flash crash. (cf.graphique)
Il est édifiant de voir des interviews de traders interrogés juste après l’évènement. Largement dépassés, certains n’hésitent pas à parler du soulèvement des machines (la matrice se serait-elle réveillée dans le monde financier ?). Loin de vouloir participer à cette représentation épique du flash, cet article invite à la réflexion sur le sujet. Il semble en effet que les outils du trading hautes fréquences ne sont pas encore entièrement compris, même par ses meilleurs utilisateurs. Il est donc urgent que des travaux scientifiques de fond permettent d’assurer un minimum de stabilité au trading hautes fréquences. En particulier, il serait bon de savoir si l’évènement est d’origine conjoncturelle (par exemple, l’incertitude liée à la dette grecque) ou structurelle. Il faut en particulier que le régulateur puisse prendre les bonnes mesures pour se prémunir contre d’éventuels nouveaux crash de cette nature.
Un système juste ?
On remarquera notamment que ce type de finance n’est accessible que sous conditions de gros moyens. Certaines entreprises payent pour avoir leurs machines le plus près possible du serveur principal, et ainsi minimisent le trajet de l’information pour gagner quelques millisecondes ! Ce genre de comportement pourrait a priori paraître saugrenu, mais comme on sait que la milliseconde est l’échelle de temps de ce type de finance, on comprend facilement l’enjeu.
En plein essor, le trading haute fréquence constitue très certainement une avancée technologique et financière. Néanmoins, il peut être dangereusement instable. Ceci constitue – pour le régulateur notamment – un défi important : assurer la stabilité des marchés sans les asphyxier.
Benjamin Heymann, trésorier de XMicroFinance
Contact : benjamin.heymann@polytechnique.edu