Bertrand Monnet
Bertrand Monnet

Regard sur l’autre économie mondiale : celle des nouveaux pirates de l’entreprise

C’est par un formidable travail de veille mais aussi d’études sur le terrain que Bertrand Monnet, directeur scientifique de la Chaire Management des risques criminels de l’EDHEC et auteur avec Philippe Véry de « Les nouveaux pirates de l’entreprise », conduit une analyse aussi minutieuse que surprenante de ces criminels.

 

Bertrand Monnet
Bertrand Monnet, directeur scientifique de la Chaire Management des risques criminels de l'EDHEC

Qui sont les nouveaux pirates de l’entreprise ?
Ce sont les auteurs de risques criminels dont l’action a un impact sur le bilan des entreprises. Ces risques émanent d’un environnement étranger à l’entreprise comme le terrorisme, les guérillas, les mafias mais aussi d’acteurs faisant partie de leur biotope naturel comme des collaborateurs ou concurrents déloyaux, des pouvoirs publics corrompus.

 

Que recouvre le risque criminel de destruction ?
La destruction se réalise au travers d’attentats, d’enlèvements ou d’assassinats. Ainsi, les attentats du 11 septembre ont pour premières victimes les entreprises des Tours qui ont perdu leurs salariés. Les enlèvements sont une autre forme de criminalité comme le montre le rapt d’employés d’Areva et Vinci au Sahel.

 

Qu’en est-il du parasitisme ?
Il est réalisé par l’usage frauduleux des flux légaux de l’entreprise. Ainsi la mafia blanchit son argent en l’injectant dans l’économie légale via les banques et assurances. Les criminels utilisent aussi les flux logistiques pour les trafics de drogues et d’êtres humains et les flux d’information pour commettre des cybercrimes.

 

Comment les entreprises subissent-elles la prédation ?
Le criminel va souvent au plus simple, et le vol représente des pertes considérables pour des groupes qui sont pourtant des monstres économiques de rang mondial. La prédation c’est aussi l’extorsion ou vol contraint par des mafias qui imposent des surfacturations, des fausses facturations, des faux emplois en Italie et au Japon, voire des hommes à des postes clés d’entreprises en Russie. L’extorsion par l’enlèvement contre rançon touche par ailleurs de plein fouet les entreprises, remettant en cause leurs politiques d’expatriation au Brésil, Mexique ou Colombie. L’extorsion c’est aussi la piraterie maritime comme dans le golfe d’Aden.

 

Et enfin la concurrence criminelle ?
La principale action de contrebande est la contrefaçon. Le marché est gigantesque et touche désormais tous les secteurs. Des organisations prennent également le contrôle d’entreprises sur les marchés, devenant ainsi des acteurs légaux de l’économie mondiale.

 

Comment observez-vous ces risques criminels ?
L’équipe de la Chaire a créé une carte mondiale interactive de ces crimes. Telle une agence de presse spécialiste du risque criminel nous l’alimentons pour nos abonnés, grâce à un travail de veille auprès de 37 000 sources d’information dans le monde. Nous doublons la veille d’une approche qualitative en allant sur le terrain avec des entreprises et en rencontrant des criminels. J’ai ainsi mené des études auprès d’un chef de guérilla au Nigeria, de mafieux albanais, serbes et de Yakuza afin d’analyser leurs modèles économiques. Notre outil transforme l’information dite sécuritaire en outil de tendance pour le management qui peut ainsi prendre les mesures adéquates dans une zone à risques.

 

Le coût des attaques des pirates de l’entreprise :

  • La chute des Twin Towers le 11 septembre 2001 a coûté 60 Mds $
  • Le vol en magasin représente pour certaines chaines de grande distribution jusqu’à l’équivalent de leur marge réelle
  • Le vol de pétrole représente de 10 et 15 % de la production des Majors au Nigeria et génère un CA de 5 à 10 Mds $ /an. En Somalie, les pirates ont à portée de fusil plus de 7 % du commerce mondial qui transite dans le Golfe d’Aden, ils détiennent actuellement 14 cargos et tankers
  • La contrefaçon touche l’équivalent de 7 % du commerce mondial
  • 800 à 2 000 Mds$ par an sont blanchis dans l’économie légale, soit 2 à 5 % du PIB mondial
  • 30 % du secteur du traitement des déchets est tenu par la Camorra en Italie et génère un CA de 7 à 10 Mds€ /an

 

« Les nouveaux pirates de l’entreprise. Mafias et terrorisme » par Bertrand Monnet et Philippe Véry, professeurs au Département Hommes & Marchés de l’EDHEC est publié chez CNRS Éditions. 2010, 23€.

 

A. D-F