BEDJA - SOUDAN Région : Sinkat Dormeur, 1983
BEDJA - SOUDAN Région : Sinkat Dormeur, 1983

Musée Dapper – « S’asseoir se coucher et rêver ». Visite en deux temps

Avec la présence exceptionnelle de certains artistes exposés, une conférence très enrichissante a été donnée. La discussion a commencé par définir la nature du design : qu’appelle-t-on par design, ses origines, son influence, son avenir. Pour ensuite rebondir sur le marché du design et particulièrement du design africain.

BEDJA - SOUDAN Région : Sinkat Dormeur, 1983
BEDJA - SOUDAN Région : Sinkat Dormeur, 1983

Une conférence enrichissante… Nature et économie du design africain
Le maitre de conférence a commencé par une question classique et introductive : Qu’est ce que le design ?
A cette question, Joëlle Busca, critique d’art et commissaire d’exposition, répond que c’est ce qui ré-enchante la vie quotidienne. En effet, il existe deux aspects dans le design, le travail artistique et le travail artisanal, autrement dit : le geste et l’objet. Il est question de formes et d’usages. Le Design, se définirait par un subtil mélange de l’un et d’autre.
Ensuite, après une courte présentation de chacun des artistes, il leurs a été posée la question « comment créez vous ? » : Kossi Assou, plasticien, enseignant et designer de Côte d’Ivoire répond : « Le but d’un designer est de revisiter les objets traditionnels africains. Ce qui est important c’est de porter un regard intérieur sur ces objets. Le plus important dans le cas du design africain réside dans le fait que ce regard est un regard africain sur des objets africains et non un regard européen sur des objets africains. C’est une question de patrimoine culturelle. Il faut ramener ces objets anciens au gout du jour. »

 

L’influence du design africain d’aujourd’hui est-elle une influence européenne ?
L’Afrique a toujours noué de liens très étroits avec  le continent européen dit le designer Balthazar Faye. Il faut par exemple souligner l’anecdote de Brazza, cet explorateur de nationalité française qui avant de partir s’était vu offrir une malle-lit offerte par louis Vuitton dans laquelle il pouvait à la fois ranger ses affaires et dormir. Cette dernière avait beaucoup émerveillé les africains qui avait essayé de la reproduire. Mais même s’il est indéniable que le design africain s’inspire des influences du continent européen, il existe parfois des exceptions où le design africain influence le design européen. Ainsi, Les influences sont donc à double sens. Un artiste comme exemple : Dider Gomez qui s’inspire beaucoup du design africain et qui a fabriqué le mobilier de Pierre Berger.

 

La conférence a ensuite porté sur la question du marché de l’art africain avec une question d’introduction : existe t-il un marché de l’art en Afrique ?
A cette question beaucoup de designers présents ont répondu négativement. En effet, le marché du design en Afrique est difficile. Il est plus aisé pour un designer de Dakar de faire envoyer ses œuvres à Paris qu’à Kinshasa par exemple. Plus aisé mais aussi plus rentable et offrant plus de débouchés. Toutefois cela laisse un espoir pour ces designers, puisque le marché reste à faire et les possibilités sont infinies.

 

Quels sont les pôles forts et les lieux de rencontres de ces designers africains ?
Presque tous les artistes présents pendant cette conférence avaient l’habitude d’exposer au salon du design lors de la grande biennale de Dakar. Cependant à partir de 2008 cette exposition a subit des difficultés : peu d’acheteurs et un intérêt décroissant de la part des visiteurs. La formule a donc été revue et l’exposition a pu de nouveau avoir lieu du 11 mai au 10 juin 2012.

 

Quelle est la place du développement durable dans ce marché de l’art africain ?
Les designers s’accordent pour dire qu’ils font tous attention à ce sujet dans leurs œuvres. Fabriquer des objets nouveaux à partir d’objets recyclés est une forme d’art écologique. Néanmoins, bien que le développement durable est vu sur le continent africain comme un luxe, il reste tout de même un frein dans ces pays et ce n’est pas le but principal des œuvres exposées.

 

SENUFO - CÔTE D’IVOIRE Lit funéraire Bois et pigments - L. : 270 cm Collection particulière
SENUFO - CÔTE D’IVOIRE Lit funéraire Bois et pigments - L. : 270 cm Collection particulière

…Et une visite passionnante « S’asseoir, se coucher et rêver »… rêver avant tout
L’entrée se fait par une salle dédiée à la photographie de Daniel Lainé. La série de photos « Rois d’Afrique » montre différents chefs de tribus dans les années 80. Ce sont des chefs à l’autorité militaire : armés de
fusils, couronnes sur la tête, entourés de toute la tribu. Ou bien des chefs à l’autorité religieuses : parures, objets de cultes et peintures sont leurs principaux attributs. Ou bien encore, des chefs qui n‘ont de chef plus que le titre, désormais simples employés au service d’un état plus national.Cela fait entrer le visiteur dans l’atmosphère de ce lieu magique.  Le ton est donné : l’exposition sera une réflexion entre rupture et continuité de l’art africain.Ces photos sont magnifiques, et valent le détour. Le spectateur regretterait presque de ne pas avoir toute la série exposée car la taille de la salle l’oblige, ce n’est seulement qu’une douzaine de photos qui sont présentées. Dans la pièce suivante, d’anciens artefacts africains sont exposés.  Tout les objets permettant de s’asseoir, de se coucher ou bien de rêver sont mis à l’honneur dans cette exposition : des appuis têtes (11), des lits (10), des chaises… Au travers de ces objets c’est un pan de l’histoire africaine qui envahit le visiteur. Chaque objet est différent, chaque objet porte en lui la marque ou la gravure de son propriétaire. Ainsi, le dicton africain veut « qu’il n’y ait pas de secret entre un homme et sa chaise. » C’est dans un premier temps une approche très éducative que met en avant cette première salle.  C’est toute la culture, le patrimoine historique des us et  coutumes africaines.
Le passage à la troisième salle est tout autre. Ce sont presque les mêmes objets qui sont exposés mais « designers » aujourd’hui. Par exemple le lit fabriqué par Kossi Assou composé de seulement une plaque de métal et de deux éléments en bois. Un style très épuré et très sobre qui prend tout son charme dans les lignes polies de l’objet.
Ainsi, tous les objets de la culture africaine sont revus, revisités et remis au gout du jour par les designers. Ils font transparaitre ici leur vision personnelle de ces objets.
C’est une exposition très sensible, très expressive, et le visiteur pourra même trouver divers sentiments dans ces objets. Par exemple une touche d’humour avec le fauteuil pour enfant de Nicolas Sawalo Cissé.
C’est un fauteuil créé de toutes pièces avec des boites de conserve récupérées dans la rue. Son allure bariolé et les différentes marques qui apparaissent encore sur certaines boites de conserve présentent une œuvre d’art amusante.Parfois c’est aussi l’originalité que met en avant l’artiste avec la commode « cadre d’union » d’Alassane Drabo (18). Derrière chaque œuvre, l’artiste expose sa vision de l’Afrique. De fait, derrière cette commode originale se cache un message engagé : « l’Afrique doit se ranger elle même ». Enfin, des œuvres comme celles de l’artiste Iviart Izamba et le « fauteuil Mobutu » (17) font part d’une grande dérision à l’égard du tyran qui régna sur la république démocratique du Congo jusqu’en 1997 et qui ne sortait jamais sans sa coiffe en peau de léopard. C’est toute l’histoire du Continent africain qui est transfigurée dans chacune de ces œuvres.
Amateurs d’objets africains ancestraux ou bien passionnés de design, tous le monde y trouve son compte dans cette magnifique exposition au titre très poétique « s’asseoir, se coucher et rêver ».

 

Gabriel Ascione