Un Anglais a binge watché la trilogie de l'auteur de l'Auberge Espagnole
Un Anglais a binge watché la trilogie de l'auteur de l'Auberge Espagnole - Crédit Unsplash

De L’Auberge espagnole à Salade grecque : un Anglais nous raconte son euro binge-watching de 13 heures

16 millions de jeunes Européens sont allés étudier dans un autre pays de l’Union européenne grâce au programme Erasmus depuis son lancement en 1987. Et plus d’un million de bébés seraient nés dans des couples formés pendant ces séjours chez les euro-voisins. Ce que dépeint Cédric Klapisch dans sa trilogie – L’Auberge espagnole, Les poupées russes, Casse-tête chinois – entamée en 2002 et complétée par une série en 8 épisodes – Salade Grecque – sortie en 2023. Le journaliste John Laurenson, Britannique résidant en France, les a enchaînés en 13 heures d’euro-visionnage. Un binge-watch pour l’Europe afin de mieux comprendre l’évolution de l’identité européenne et qu’il nous raconte.

Jour 1. 19h. L’Auberge espagnole

On s’installe sur le canapé pour le départ du marathon. Deux verres d’un truc fort au gingembre. On est prêts. Partez ! Je l’ai vu à sa sortie. Ma femme Albertine aussi. Mais c’est loin tout ça. Mon plus fort souvenir c’est le portrait exécrable de l’anglais : bourré de préjugés quand il n’est pas bourré tout court. J’étais déjà en France à l’époque. On se connaissait même, Albertine et moi. Nous faisions partie de la même bande. J’étais assez copain avec celui qui allait devenir son (premier) mari. C’était assez Klapischesque en fait. En plus, le couple qu’on suit pendant toute la saga est franco-anglais : Xavier et Wendy. Et pendant tout le premier film, ce n’est pas un couple encore. Comme nous, quoi.

Lui, il est jeune étudiant en économie. Une relation du paternel lui promet un poste au ministère de l’Economie en rapport avec l’Espagne mais il faut qu’il maîtrise l’espagnol. Et vamos c’est parti : 6 mois à Barcelone avec une bourse Erasmus ! Uno, dos, tres cervezas et viva la vida loca ! Ou plutôt coloca. L’Auberge espagnole, c’est ça. Un grand appart devenu microcosme européen : un Français, un Italien, une Espagnole, une Belge, un Allemand, une Anglaise et un Danois. Plus le petit frère de Wendy. C’est le seul dont le portrait n’est pas sympa. Et vous vous étonnez du Brexit…

Xavier se dit :

« Je suis Français, Espagnol, Anglais et Danois. 
Je suis un et plusieurs.
Je suis comme l’Europe.
Je suis tout simple.
Je suis un vrai bordel. »

« C’est toujours un binge-watch si on regarde la suite demain ? », je demande. « Il n’y a pas vraiment de règles, si ? », me répond Albertine. C’est que, voilà, un certain nombre d’années sont passées chez nous aussi. On ne binge-watch pas comme on binge-watche à 20 ans.

Day 2. 21h10. Les Poupées russes

Mon fils Martin est venu nous rendre visite et il nous accompagne pour l’Auberge II. Il n’a pas vu le premier film mais ça peut se rattraper en cours de route. Enfin, c’est ça que je lui dis. Trois années plus tard, on retrouve William, l’affreux Anglais de l’Auberge I, qui s’est bien assagi. Il est devenu sympa en tout cas. Et il est tombé amoureux d’une danseuse de ballet russe. Normalna. La bande de Barcelone se retrouve pour leur mariage à Saint-Petersbourg. Pendant les discours, l’Allemand de la bande s’émeut de la transformation de William. C’est tout un symbole. Tout comme l’abruti d’outre-Manche « la Russie a changé, l’Allemagne a changé. » On est en 2005. Il ne ferait pas le même discours aujourd’hui. Pas sur les Russes en tous cas. Sur les Allemands, ça se discute. 

Autre développement énorme : Wendy et Xavier « get it together ». Hurray ! Le couple Erasmus se fait enfin. lls sont devenus écrivains tous les deux. Elle, retournée vivre en Angleterre, a déjà du succès. Lui, c’est plus la lutte. Leur histoire d’amour commence, une histoire d’allers-retours, une histoire d’Eurostar.

Comment il voit ça le fils Martin ? Il est toujours étudiant, lui. École de commerce comme Xavier au début. Il vient de passer six mois à l’étranger lui aussi, sauf qu’il n’est pas parti étudier mais pour un stage. Il n’a pas découvert l’Europe mais l’Amérique et il n’a pas commencé une histoire avec une Anglaise mais une Américaine. Le stage ne paie pas trop mal. Elle, elle travaille déjà. Pour l’instant ils font des allers-retours Paris-New York comme Xavier et Wendy faisaient des Londres-Paris.

Giorno 3. 20h45. Casse-tête chinois

Martin est toujours avec nous pour l’Auberge III. Ça tombe bien parce que Casse-tête chinois se passe à New York. Devant la télé, Albertine nous a préparé des sortes de poke bowls. C’est chaud et froid, cuit et cru. Sympa quoi. On apprend que Xavier et Wendy ont des enfants ! Tom et Mia. Et qu’ils se sont séparés ! Non !!! Ils habitent tous à Paris. Séparés mais dans la même ville. Puis Wendy rencontre un certain John pendant un séjour pour son travail à New York et, rapidement, veut s’y installer. Avec les enfants. Xavier finit par suivre. Il se marie – en mariage blanc – avec une Américaine (d’origine chinoise) pour pouvoir rester dans le pays.

On en parle après avec Martin. Est-ce que ça existe encore vraiment des auberges espagnoles Erasmus ? « Bien sûr » dit-il et me passe les coordonnées d’un ami. Il s’appelle Loucas. Français. Il a une bourse Erasmus pour passer deux mois et demi à Madrid dans le cadre d’un échange avec une école de commerce là-bas. Surtout, il vit en colocation. Ils sont 9. Une Moldave, une Danoise, une Polonaise, un Canadien, un Italien, un Brésilien, un Chilien, une Espagnole. L’euro-love ? C’est oui. Il n’offre pas de détails et je n’insiste pas. « Pas de bébé Erasmus alors ? » « Si oui, je ne suis pas au courant ! »

Tag 4. 20h45. Salade grecque, épisodes 1 à 3

Albertine, assez incroyablement, nous a préparé une salade grecque en entrée pour ce soir sans penser un seul instant au nom de notre nouvelle série. C’est vrai qu’on en mange pas mal. Bref. Nous voici 20 ans après l’Auberge espagnole. Tom et Mia, les enfants de Wendy et Xavier, ont grandi. Leur grand-père, le père de Wendy, meurt. Mia rate les funérailles pour rester à Athènes. Elle y était partie étudier avec une bourse Erasmus comme Papa mais a laissé tomber tout de suite pour travailler comme volontaire dans une association d’aide aux migrants. Son auberge espagnole à elle est avec des Syriens, des Soudanais, des Afghans…

Il s’avère que son grand-père a laissé à elle et à Tom un immeuble qu’il avait acheté dans les années 1970 à Athènes. Tom y va pour le voir. Il a fait des études de business un peu plus sérieusement que son père et, avec sa copine américaine (dommage que Martin soit parti !), veut lancer une start-up éco-friendly. Il espère vendre rapidement l’immeuble grec pour pouvoir lancer l’affaire. C’est sans compter sur le militantisme bouillonnant de Mia.

Sans trop spoiler, je peux vous dire qu’on se retrouve avec non pas une auberge espagnole mais deux dans un même bâtiment délabré et couvert de tags : celle de Mia avec les migrants et celle de Tom quand, en écho à son père, il prend une place dans une grande coloc. Il y a ici un Croate, un Italien, une Italienne, une Tchèque et un garçon du Burundi.

À un moment, on voit l’Italienne faire une présentation orale à la fac sur le besoin d’une « Europe forteresse » pour protéger l’acquis de la liberté de mouvement dans la zone Schengen. En même temps, dans la rue, l’asso de Mia se confronte à la police et à un groupe d’extrémistes nationalistes aux cris de « à bas les frontières ! »

Dia 5. 8h30. Salade grecque, épisodes 4 à 8

Allez, c’est moi qui cuisine. Petit-déjeuner anglais bacon & eggs. C’est Noël à l’Auberge. L’Angleterre veut faire son truc à elle avec sa turkey, son Christmas Pudding et son brandy butter. La mère de Wendy vient passer les fêtes à Paris avec sa fille et sa famille plus décomposée que recomposée. Xavier a retrouvé le bonheur avec une Française et soigne son potager tout en citant Voltaire : il faut cultiver son jardin. Mais les choses ne vont pas s’arrêter là ! On ne va pas finir chacun chez soi quand même ! Les jeunes repartent, leurs histoires aussi. Et quand vient la fin de la coloc, la fin du séjour Erasmus, on sent que, comme pour la génération des parents, ils ne vont pas arrêter de se retrouver.

L’Europe a bien changé en 20 ans et quand, pour clore cette sacrée série, Xavier reprend sa litanie du début, c’est pour dire « Je suis Grec, Afghan, Ukrainien, Croate, Italien. Je suis Tchèque, Syrienne. Je suis tout ça. » Il a gardé son exaltation d’aventurier, notre héros ; maintenant les frontières qu’il saute sont celles de l’Europe. A quand la suite pour que je puisse reprendre mon binge-watching !?

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