“La littérature est une urgence, pour laquelle, avec d’autres, je suis joyeusement entré en résistance!” Normalien, transfuge de Radio Nova, valeur sûre de France Culture et nouveau Monsieur Littérature au Grand Journal, Augustin Trapenard est, on s’en doute, un lecteur passionné. Mais c’est aussi un fervent défenseur du journalisme littéraire, de l’historicisme et de Doris Lessing. Entretien avec un combattant.
Comment devient-on journaliste littéraire?
Élève à l’École Normale Supérieure de Fontenay-st-Cloud sous la direction de Frédéric Regard, j’ai ensuite passé l’agrégation d’Anglais. Puis, j’ai enseigné la littérature anglaise et américaine à l’École Normale Supérieure de Lyon, avant de mettre un pied au magazine ELLE et à Radio Nova. C’est aux États-Unis que j’ai eu la chance d’étudier un temps et c’est là que j’ai découvert le néo-historicisme, soit la conviction qu’un travail littéraire devrait être analysé au regard de son époque, de son lieu, de son auteur… bref, de son contexte.
C’est une vision que vous appliquez dans votre émission “Le Carnet d’Or” sur France Culture?
Oui, à mon sens, ce n’est pas intéressant d’entendre un écrivain raconter son livre, ne serait-ce que parce que ça gâche le plaisir du lecteur! Ce qui me fascine, c’est la “petite cuisine”. Mon émission s’appelle “Le Carnet d’Or”, d’après l’ouvrage éponyme de Doris Lessing, qui décrit le travail de création de l’auteur.
Pourquoi cette œuvre est possible à ce moment donné?
En posant cette question, en évoquant la transversalité d’un ouvrage, je veux emmener l’auditeur vers un ailleurs qu’il ne soupçonne pas toujours.
C’est aussi le cas sur Canal Plus?
Au Grand Journal c’est différent, j’ai, tous les soirs, 1,5 million de spectateurs et 1 minute 30 de parole. Ce temps précieux, je m’en sers pour partager et diffuser un peu de culture dans un paysage audiovisuel qui pourrait s’en passer. En présentant un livre qui m’a plu, il s’agit de toucher un public ouvert.
C’est vrai, mais on ne peut pas franchement parler de critique littéraire…
Effectivement, dans ces deux émissions, je ne fais pas de critique à proprement parler. C’est d’ailleurs bien pour ça que je me considère journaliste littéraire, et pas critique. Je ne suis pas dans la critique, mais dans la prescription. Quand je n’ai que quelques minutes pour parler, je préfère aborder les livres qui m’ont plu car rien ne sert de gaspiller mon temps et d’essayer de me mettre en avant, en étrillant un mauvais livre. Je suis d’ailleurs toujours un peu mal à l’aise avec les journalistes qui se couronnent “critique”.
Pourquoi?
Parce que la critique, pour exister, a besoin d’espace et de temps ! C’est un luxe qui est rare aujourd’hui dans les médias car une vraie critique nécessite une micro-analyse. Je me souviens, à ce titre, d’une émission estivale de France Culture, “Les Bonnes feuilles”, où avec Karine Tuil nous avions évoqué le sens du slash dans ses ouvrages. Nous en étions à parler des signes de ponctuation! Pour moi, la bonne critique, c’est celle qui prend du temps pour aller creuser jusqu’au fond de l’ouvrage. On peut la retrouver dans certaines revues, comme “Le Matricule des Anges”, “Esprit” ou dans “La dispute” de Arnaud Laporte, sur France Culture, mais c’est plus difficile en prime-time…
On vous sentirait presque frustré…
Absolument pas! Je suis réaliste mais pas pessimiste et, en littérature comme en tout, il vaut mieux un peu que pas du tout. Il faut accepter le pacte qui est proposé et s’y adapter le mieux possible pour lentement, promouvoir la littérature. Et, que ce soit à France Culture ou dans Elle, il me reste toujours d’autres formats pour développer le sujet.
Finalement, vous menez un combat pour la culture?
Je n’aime pas beaucoup ce terme, d’autant qu’il existe en France une véritable exception culturelle en la matière. Dans quels autres pays une chaîne privée laisserait-elle de la place à la littérature à une heure de si grande écoute? Je me rappelle d’un journal télévisé qui a hier (ndlr 29/09/13) consacré 3 minutes de son programme au nouveau livre de Helen Fielding, auteure de « Bridget Jones ». Si combat il y a, il est heureusement facilité par un goût partagé, en France, pour la lecture et la littérature. En fait, on pourrait parler d’obsession? Il serait plus juste de parler d’une névrose de lecture perpétuelle. Je consacre entre 6 et 7 heures par jour à lire des livres, mais rassurez-vous, je ne suis pas le plus atteint. Baptiste Liger, de Technikart, doit probablement lire 15 livres par semaine… Mais c’est vrai, la littérature est une urgence, pour laquelle, avec d’autres, je suis joyeusement entré en résistance!
Que pensez-vous des prix littéraires?
Ils sont bien sûr indispensable à la vitalité de notre secteur, mais peut-être manquent-ils un peu d’ouverture. Les membres qui les composent sont souvent des sages, parfois bien inspirés mais pas toujours les mieux placés pour saisir le pouls de la création littéraire. Un exemple, basé sur un goût personnel: comment se fait-il que l’incroyable ouvrage de rentrée de Céline Minard, innovant, surprenant “Faillir être flingué?” ne soit nominé dans la liste du Goncourt ?
Justement, cette rentrée, que vous inspire-t-elle?
Je suis très frappé par la prégnance de certains thèmes. Les romans sur l’insurrection comme “L’esprit de l’ivresse” de Loïc Merle, ou “Les renards pâles”de Yannick Haenel détonnent dans une France assez conformiste. L’alternative, la rébellion s’incarnent aujourd’hui dans la Littérature! Autre thématique frappante, la tentation d’ailleurs, la déterritorialisation avec “La grâce des brigands”de Véronique Ovaldé, “Faites vos valises les enfants” de Valérie Tordjman ou “Itinéraire d’un poête apache” de Guillaume Staelens. Un dernier thème, au hasard: la résurgence des livres de reporters de guerre: “Le quatrième mur” de Sorj Chalandon ou “Robert Mitchum ne revient pas”de Jean Hatzfeld. L’abondance de ces thèmes, parmi tant d’autres, témoigne de la vitalité littéraire française.
A vous entendre le monde littéraire français est loin d’être en déclin…
Une fois de plus, ce cliché ne résiste pas à la confrontation avec d’autres pays. Je vois, notamment dans cette rentrée littéraire 2013, l’éclectisme incomparable, la richesse incroyable de la littérature française! A titre d’exemple: la production littéraire américaine, passé le choc créatif post-11 septembre, me semble en berne aujourd’hui, et souffre de la comparaison à côté d’une prose française variée, qui interroge l’acte d’écriture.
L’industrie du livre vous inspire-t-elle le même enthousiasme?
C’est vrai, la littérature doit faire face à une conjoncture difficile. Et, c’est vrai, le papier est remis en question. Mais cela n’entame pas la passion pour la chose écrite, toujours présente. Pour ma part, je me méfie du cynisme actuel, d’ailleurs déjà existant à la période romantique. On lit encore énormément en France et les lecteurs que nous sommes tous peuvent toujours résister. J’espère, à mon échelle, y contribuer.
Le Prix Littéraire des Grandes Ecoles
http://prixlitterairedesgrandesecoles.com/