Amélie Nothomb revisite Barbe Bleue

Après déjà vingt ans de succès, l’imagination de la célèbre romancière belge semble intarissable, et son succès inébranlable. Son dernier livre Barbe Bleue, paru en aout 2012 et déjà best-seller, le confirme. Dans cet ouvrage, Amélie Nothomb revisite le conte populaire de Charles Perrault. Elle lui a par ailleurs donné un aspect bien plus moderne, pour rendre une adaptation du conte au XXI siècle. L’auteur donne le ton de l’ouvrage dès la quatrième de couverture avec le choix de la citation « la colocataire est la femme idéale » qui annonce d’emblée une version très actuelle du conte.

 

Saturnine est une jeune belge de 25 ans qui arrive à Paris. Elle répond à une annonce pour une colocation dans un sublime appartement en plein Paris. Le maître des lieux est un grand d’Espagne : Don Elemirio Nibal y Milcar. On apprend rapidement par l’une des candidates, que les huit dernières colocataires de l’espagnol ont mystérieusement disparues. A peine Saturnine arrive-t-elle devant le noble propriétaire qu’elle est immédiatement choisie pour devenir la neuvième femme à partager ses appartements. Toutefois, une mise en garde s’impose, car comme dans le conte d’origine, le bon déroulement de la colocation repose sur une condition primordiale pour Don Elemirio qui lui interdit l’accès à l’une des pièces de l’appartement.

Dans cet ouvrage, Amélie Nothomb se passe de grandes descriptions poétiques et de parcours psychologiques des personnages. Elle use au contraire d’un style épuré très agréable. L’auteur crée un huis clos à l’ambiance  luxueuse, où la religion et la métaphysique occupe une place de choix. C’est dans ce cadre que le dénouement progresse, et plus particulièrement au cours de leurs diners en tête à tête où les deux personnalités s’affrontent continuellement dans des dialogues pointus, parfois proches de stichomythies. Si ces échanges sont si savoureux, c’est parce que le lecteur se retrouve immanquablement pris entre le fort caractère de Saturnine et un Barbe Bleue doté d’un fort répondant, et qu’il ne peut donner tout à fait raison ni à l’un ni à l’autre. L’auteur ne cache pas s’être servie directement de son histoire personnelle pour créer le personnage de Saturnine qui ne serait autre qu’Amélie Nothomb à son arrivée à Paris. C’est donc elle-même à ses débuts qu’elle a choisi d’opposer à Barbe Bleue.

De plus, le droit absolu au secret s’impose rapidement comme l’objet principal du roman. Amélie Nothomb défend alors l’image du personnage de Barbe Bleue qu’elle affectionne. En effet, elle le présente comme un individu très sympathique, bien que parfois irritant malgré lui. Elle insiste alors tout au long de l’intrigue sur la justesse de sa quête. Après tout, Barbe bleue n’est qu’un homme qui a un secret et revendique son droit au respect de son intimité.

Quant à l’enchainement du livre, le lecteur peut être dérangé par la facilité avec laquelle l’intrigue se dénoue. En effet, Don Elemirio tombe presque instantanément amoureux de Saturnine qui quant à elle, trouve le noble particulièrement repoussant pendant plus de la moitié du livre, pour finalement s’éprendre de lui miraculeusement. Pourquoi ce revirement de situation qui reste inexpliqué, et donc rend l’histoire si peu crédible ?

D’autre part, on peut avoir des difficultés à s’immerger dans l’univers que l’auteur propose : un frigo qui déborde des meilleurs champagnes (servis chaque soir), un noble érudit qui cuisine et coud à la perfection… Ce côté démesuré finit par devenir irritant.

Finalement, la densité de l’œuvre peut lasser le lecteur qui doit jongler entre une apologie du champagne, des débats sur la religion, l’amour et le secret, pour s’orienter en fin de récit vers des références métaphysiques. En effet, Barbe Bleue est obsédé par la reconstitution du spectre de couleur.

Dans l’ensemble, le livre laisse quelque peu le lecteur sur sa faim. L’intrigue est confuse car trop de thèmes sont traités. Et surtout, l’histoire se dénoue avec beaucoup trop de facilité et d’évidences, sans compter des revirements de situations qui restent inexpliqués.

Ce qui reste néanmoins agréable, à défaut de l’intérêt qu’on peut porter à l’intrigue, c’est le style de l’auteur. En effet, l’écriture très épurée et limpide d’Amélie Nothomb nous invite à parcourir le récit à la manière d’une véritable pièce de théâtre.

 

Anne-Sophie Berrebi-Mathieu