DOSSIER Directeurs Généraux
Sans surprise les fonctions et enjeux du dirigeant évoluent fortement ces dernières années, et ce n’est qu’un début. Face à une économie changeante voire instable, une nouvelle manière de gérer l’entreprise et motiver les collaborateurs est-elle en train d’émerger ? Cette évolution est-elle nécessaire et inéluctable ? Pour les enseignants-chercheurs qui décryptent et analysent les enjeux stratégiques, managériaux et opérationnels des directeurs généraux, et qui les forment, la réponse est positive. Voici leur portrait du néo-dirigeant.
Créateur de croissance, entrepreneur et responsable
Bernard Garette, directeur délégué du MBA d’HEC, qui proposera en septembre un nouveau curriculum.
Pour préparer la refonte du MBA, nous avons demandé au cabinet Bain & Company de mener l’enquête sur les attentes des entreprises sur les qualités clés du dirigeant. Le poste de DG est crucial dans les entreprises : car c’est lui qui « fait le business ». Les entreprises veulent des dirigeants capables de créer de nouveaux business, de conquérir des marchés, de trouver l’expansion hors des sentiers battus. L’enjeu étant de créer de la valeur à plus long terme, et pas uniquement pour enrichir les actionnaires comme ça été le cas par le passé avec les conséquences que l’on sait. Le pendant de cette attente est d’avoir des dirigeants entrepreneurs. Pas uniquement des créateurs d’entreprise, mais des intrapreneurs dans leur organisation, capables d’identifier des innovations porteuses de business futurs et de les déployer.
Enfin, il émane une forte demande de responsabilité, d’une plus grande éthique des dirigeants. Qu’ils sachent prendre en compte d’autres dimensions qu’économiques pour décider. Nous constatons d’ailleurs que les participants actuels du MBA sont plus sensibles à ces questions que les générations antérieures.
Une nouvelle relation d’autorité
Sylvie Deffayet Davrout dirige la Chaire « Leadership et compétences managériales » de l’EDHEC
Contrairement aux idées reçues, le leader n’est pas forcément un extraverti qui s’impose. Certains dirigeants sont très humbles et discrets. L’enjeu est de devenir le manager qui est en soi. En étant relié à ses passions, ses fragilités, nul besoin d’être un surhomme, mais plutôt d’être fort dans la puissance et la justesse relationnelle.
La relation est un point essentiel pour le dirigeant, d’autant plus que les attentes des jeunes de la génération Y sur la manière d’exercer l’autorité sont singulières. Personne n’attend d’entrer dans l’entreprise pour vivre une relation d’autorité. C’est pourquoi, le dirigeant doit aussi s’intéresser au followership s’il veut pouvoir gérer les autres. Pour les entrainer et les motiver, il doit comprendre leur relation à l’autorité. Le management est une relation à deux, sa réussite ne repose pas uniquement sur les épaules du leader. C’est ce que j’aime expliquer dans mes cours sur les clés du follerwship à l’EDHEC, des cours de subordination à de futurs managers (!), sur le mode « dis moi comment tu obéis, je te dirais comment tu commandes ».
Une bonne gestion de la pression liée aux outils numériques
Jean-Michel Rolland, Responsable du département Human Management Business Innovation à l’ISEN Toulon
La pression est de plus en plus grande dans l’entreprise. Elle est accentuée par l’usage des technologies numériques qui nous rendent en permanence accessibles et donc susceptibles de travailler. Le dirigeant doit de plus en plus être capable de gérer cette pression, pour lui-même et pour ses collaborateurs.
Cela passe notamment par une prise de recul managériale. Je conseille souvent aux dirigeants de caler sur leurs agendas « des rendez-vous avec eux-mêmes » : pour prendre du recul, laisser l’intuition travailler dans les décisions stratégiques, sans se laisser perturber par des sollicitations extérieures. Le DG peut aussi être amené à prendre position sur l’usage des NT, la disponibilité permanente de ses équipes, la gestion d’une somme d’informations sans cesse croissante. Le hic, c’est qu’il fait souvent partie de la génération démunie face aux usages et leurs conséquences des outils numériques. On peut imaginer que lorsque la jeune génération arrivera aux manettes, elle sera plus cohérente et organisée, développera un management nouveau.
Pour une meilleure gouvernance
Alors que la question des rémunérations se pose de manière accrue en France, Gilles Hilary, associate professor en gestion à l’INSEAD a travaillé sur un échantillon de patrons américains pour vérifier si compétences et rémunérations étaient liées.
Notre recherche visait à déterminer si les dirigeants apportent une valeur ajoutée aux entreprises qu’ils gèrent, et si leurs salaires reflètent leurs compétences ou plutôt leur habileté à s’octroyer une rente. Elle montre que performance de l’entreprise et rémunérations des dirigeants sont alignées lorsque la gouvernance est bonne. En résumé : plus la gouvernance est bonne, plus la qualité des dirigeants l’est ! On ne peut évidemment pas transposer cette conclusion à la France, mais s’interroger à son aune. Car des études ont montré que la surveillance des dirigeants et donc de leurs compétences et performances, est moindre de la part de conseils d’administration composés de membres issus des mêmes réseaux et écoles. Dans ce cas, les dirigeants ont tendance à sous-performer. On limoge moins « un camarade », on lui met moins la pression … On ne revient à la nécessité d’une gouvernance de qualité…
Développer une conviction managériale
Jean-Louis Raynaud, directeur de l’Advanced Management Programme de l’EDHEC.
Au sein de l’AMP, nous proposons aux dirigeants ou futurs dirigeants de se ressourcer et se renforcer sur deux axes : les aspects techniques (marketing, stratégie, organisation, finance, etc…) afférents aux dossiers qui se retrouvent sur le bureau d’un DG, et le développement personnel. Sur ce dernier, il s’agit d’armer chaque individu pour endosser les fonctions d’animateur d’hommes et de femmes dans l’entreprise, conduire une entreprise, gérer le changement, donner du sens au travail, créer une harmonie sociale. Avec un autre versant tout aussi important : savoir gérer ses propres tensions.
Parmi les enjeux du dirigeant, un autre est crucial : développer une conviction managériale, sortir des schémas traditionnels, forger sont propre style en essayant de faire que les gens soient plus « heureux » dans l’entreprise.
L’attente est donc croissante vis-à-vis du dirigeant de sa capacité à donner du sens au travail, à développer une vision pour son métier, son organisation, expliquer pourquoi on fait les choses, quelle est la place de chacun. Face à la complexité et la rapidité croissantes des affaires, le dirigeant a tendance à rester « le nez dans le guidon », à manquer de temps pour prendre du recul. La pression financière est telle que souvent l’humain passe au second plan. Or, savoir manager les hommes et soi-même, développer son leadership, passent, dans l’ordre, par : l’acquisition d’une conviction, la capacité à prendre de la hauteur, à donner du sens au travail.
Bernard Garrette, Directeur Délégué du MBA d’HEC « Le dirigeant « idéal » est capable de faire croître son entreprise dans un état d’esprit entrepreneurial, et se conduit de manière responsable lorsqu’il développe ses activités »
Sylvie Deffayet Dravout, dirige la Chaire « Leadership et compétences managériales »
Jean-Michel Rolland, Consultant en management et Responsable du département Human Management Business Innovation à l’ISEN Toulon.
Gilles Hilary, associate professor à l’INSEAD et lauréat du Prix Académique de la recherche en management du Syntec en 2012, pour sa recherche sur « Le Dirigeant : compétence, rémunération et performance de l’entreprise »
Jean-Louis Raynaud, directeur du programme de l’EDHEC Management Institute destiné aux futurs dirigeants, l’Advanced Management Programme.
A. D-F