Thierry Spataro, enseignant-chercheur à AgroParisTech : « Si dominance il y a, elle intervient plutôt au sein d’un même sexe. »

[Qu’en dit la science ?]

Pour Thierry Spataro, enseignant-chercheur à AgroParisTech, spécialiste de la modélisation de la dynamique des populations, il peut exister certain dysmorphisme dans la nature. Chez certaines espèces – animales et végétales – les mâles ont totalement disparu. Chez d’autres, leur présence dépend des conditions environnementales. Enfin, chez d’autres encore, ils ne sont présents que le temps d’assurer la fécondation. Bref, au sein de la nature elle-même la notion de genre n’est pas forcément liée au sexe.

La nature est-elle, elle aussi, sexuée ?

Il existe en effet de multiples exemples où le mâle est réduit à sa fonction de reproduction : chez certaines espèces, le mâle est ainsi beaucoup plus petit que la femelle, il est accroché à la femelle et ne vit que pour la féconder. Mais là aussi les deux ont un mode de vie complètement différent. Du point de vue écologique, la « production » d’individus sexués peut même avoir un coût. La production de mâles peut en effet paraître moins « rentable » du fait de leur incapacité à produire des descendants.

Mais existe-t-il des différences fondamentales entre les femelles et les mâles ?

Chez la plupart des espèces, les différentiations femelles –mâles  sont maintenues, et ce quel que soit l’environnement dans lequel ils évoluent. Par exemple, il  peut y avoir de réelles différences de taille – variant du simple au centuple – entre la femelle et le mâle chez certaines espèces. Chez certaines araignées ou chez les mantes-religieuses, les femelles consomment le mâle après l’accouplement car le mâle n’a plus son rôle à jouer dans le développement de l’espèce : il devient alors une simple source de nourriture. Nous ne sommes toutefois plus dans un rapport de dominance.

On parle rarement de la dominance d’un sexe par rapport à l’autre car ils ne se construisent pas l’un contre l’autre

Dans le monde animal, la notion de dominance se définit en général par rapport à l’accès à la reproduction chez les mâles. Par conséquent, on parle rarement de la dominance d’un sexe par rapport à l’autre car ils ne se construisent pas l’un contre l’autre. Si dominance il y a, elle intervient plutôt au sein d’un même sexe.

À quoi ces différences sont-elles liées ?

1.    La première raison relève de la sélection sexuelle : c’est le choix du partenaire au moment de l’accouplement. Les femelles choisissent leur partenaire d’accouplement et les mâles développent des attributs qui vont être remarqués par la femelle. Or, ces attributs ont également un « coût » – par exemple, un animal au plumage plus voyant aura plus de risque d’être repéré par un prédateur –,  ce qui explique que ces caractéristiques n’apparaissent pas chez le sexe qui «choisit » car il n’y aurait pas de gain associé pour ce dernier. Le cas inverse existe mais s’avère bien plus rare : si ce sont les mâles qui choisissent, on va alors avoir des femelles qui vont porter des attributs sexuels secondaires pour indiquer au mâle qu’elles existent.

2.    La deuxième raison relève du rôle parental partagé entre les deux sexes. Dans la plupart des espèces, comme chez les mammifères, les mères s’occupent des petits jusqu’à leur sevrage. Elles développent alors des attributs particuliers. L’inverse existe – chez les hippocampes notamment – mais est plus rare. En conséquence, les mâles vont à leur tour développer des attributs spécifiques à cette « éducation ».

Ces deux conditions vont donc expliquer certaines différentiations morphologiques, résultantes de la sélection naturelle qui favorise la propagation de certains gènes ou de combinaisons de gènes : les individus qui porteront ces gènes auront alors un avantage compétitif indéniable dans cet environnement donné car ils seront plus à même de se reproduire.

Quid des femmes et des hommes alors ?

Une des caractéristiques de la population humaine par rapport à d’autres est qu’elle a acquis la possibilité de s’affranchir au moins partiellement de la sélection naturelle. C’est pourquoi il peut sembler « légitime » de vouloir réduire autant que possible la différenciation entre sexes au sein de la société humaine.

Violaine Cherrier