En valorisant l’hyper consommation et la surabondance, notre société ne va-t-elle pas droit dans le mur ? Sommes-nous malades de nos excès ?
Diplômée d’HEC, Louise Chauchard a créé, il y a deux ans, le site www. raids-patisseries.com, véritable mine d’informations pour déguster les meilleures pâtisseries de la capitale. Interview sucrée.
Quand avez-vous pris la décision de vivre de votre passion ?
J’ai découvert l’univers de la gastronomie sucrée durant mes études à HEC où j’ai créé « la Journée du chocolat » qui a lieu désormais chaque année. J’ai aussi rencontré un photographe culinaire qui m’a fait découvrir la haute pâtisserie parisienne. Après mes études, j’ai fait un an de stage dans une banque d’affaire à Londres puis, en France, dans le conseil en stratégie. J’ai vite réalisé que cela ne me convenait pas et que c’était à l’opposé des valeurs de la gastronomie que sont la convivialité et le partage.
De plus en plus de pâtisseries haut de gamme s’ouvrent à Paris. Cela va-t-il dans le bon sens ?
Oui et c’est une vague de fond. Actuellement, il y a une vraie réflexion sur le goût. Les gens ont compris qu’il y avait eu une surenchère de la forme sur le fond puisque l’on faisait des gâteaux plus beaux que bons. À Paris, la clientèle est demandeuse et zappeuse, donc le nombre de création de pâtisseries va continuer de se maintenir à un niveau soutenu. D’autant que les émissions de télé réalité sur la pâtisserie boostent le secteur. Il suffit de voir à la télévision des super chefs pâtissiers pour avoir envie de s’intéresser au secteur et au produit. L’irruption des mass-médias dans le secteur de la pâtisserie bouleverse la donne et va l’accentuer.
Qui ne s’est pas interrogé au moins une fois sur la profusion des linéaires qui s’alignent à perte de vue dans les supermarchés ? Une profusion gargantuesque devenue presque banale pour tout européen qui se respecte, mais qui interpelle forcément le citoyen. En cause, le développement économique des pays riches dès les années 1960 et la valorisation de la consommation sous toutes ses formes : alimentation, biens, services… Une consommation qui fut longtemps synonyme d’épanouissement et de bien-être pour les populations qui avaient connu, en moins de trente ans, deux guerres mondiales. Les choses se sont gâtées lorsque la consommation est devenue un mode de vie à part entière. « La profusion des produits et des marques a commencé dans les années 1980 avec les notions d’innovation et de conquête de nouveaux marchés, rappelle Véronique Cova, enseignante à l’université Aix Marseille III qui travaille sur le marketing et les comportements du consommateur. Les années 1990 ont, quant à elles, marquées l’entrée dans la post modernité. La machine s’est emballée et les entreprises fonctionnent désormais sur les moteurs traditionnels de l’économie, à savoir, gagner plus d’argent et vendre de plus en plus de produits. » Cette course à l’innovation se poursuit d’autant plus que la demande est là.
Une identité consommable
S’il est difficile de résister au rouleau compresseur du marketing publicitaire, il serait trop simple d’envisager le consommateur comme un pion à la merci d’un jeu commercial. Il a aussi sa part de responsabilité. C’est la conviction de François Dumoulin qui conseille les entreprises sur leur positionnement marketing et leur identité. « Le propre des marques est de créer de la richesse. C’est au citoyen d’ouvrir les yeux et de faire un constat froid sur l’offre qui lui est proposée. Lui seul peut mettre une limite à cette frénésie acheteuse. » Encore faut-il avoir développé son esprit critique. Pas facile dans une société qui crée des envies en permanence et valorise la satisfaction immédiate de nos pulsions. « Depuis les années devenue un objet de construction de l’identité, assure Edith Tartar-Godet, psychologue clinicienne. Les produits et les valeurs puisque les autres institutions comme l’Etat, l’Église et l’Ecole se sont désengagés. Le monde du profit a pris leur place. Du coup, notre modèle est aujourd’hui uniquement économique. »
Résister au conformisme
Un constat accablant, même si des initiatives individuelles émergent et contre carre l’idéologie de la consommation. « Nous sommes à une période charnière, assure Véronique Cova. Il faudra compter sur les idéologies humanistes basées sur le vivre ensemble pour faire bouger les choses. Mais cela prendra au moins une génération. » Ainsi, le concept de la « sobriété heureuse », initié par le pionnier de l’agroécologie Pierre Rahbi il y a déjà 40 ans, poussent les individus à réfléchir sur d’autres dimensions que celle de la croissance économique indéfinie. « Notre modèle de société, qui a donné à l’argent les pleins pouvoirs et propose un faux bonheur dans la surabondance, va atteindre ses limites. Il n’est pas normal qu’une minorité humaine riche consomme les 4/5 des ressources naturelles. La société civile compte de nombreux artisans du futur qui souhaitent remplacer ce modèle de surabondance. Car même avec de l’argent, tout s’achète sauf la joie ! »
F.B