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SLEEPING BEAUTIES :RELANCER UNE MARQUE ENDORMIE À PARTIR DE SON HÉRITAGE

MOYNAT, ENTREPRISE FONDÉE EN 1849, A ÉTÉ L’UN DES PLUS IMPORTANTS MALLETIERS DE LA FIN DU 19E SIÈCLE. LA MARQUE A CESSÉ SON ACTIVITÉ EN 1976, PUIS, BERNARD ARNAULT, PRÉSIDENT DE LVMH, L’A RACHETÉE EN 2010. APRÈS 35 ANNÉES D’INACTIVITÉ, MOYNAT A OUVERT UN PREMIER MAGASIN À PARIS EN 2011, ET DEPUIS, LES OUVERTURES DE MAGASIN SE SONT ENCHAINÉES : LONDRES, NEW-YORK, TOKYO, ETC. DE LA MÊME FAÇON, DE NOMBREUSES ENTREPRISES RELANCENT DES MARQUES DU PASSÉ, TOUT PARTICULIÈREMENT DANS LE SECTEUR DU LUXE. C’EST PAR EXEMPLE LE CAS DE ROGER VIVIER EN 2003, CITROËN DS EN 2010, COURRÈGES EN 2012 OU DE L’ORIENT EXPRESS DONT LE RETOUR EST ANNONCÉ. POURQUOI DE NOMBREUSES MAISONS DE LUXE CHERCHENT-ELLES À RÉVEILLER DES MARQUES DU PASSÉ ?

 

Ces marques, appelées ‘sleeping beauties’ ou ‘belles endormies’, sont des marques qui ne sont plus actives sur le marché mais qui conservent un potentiel de création de valeur lié à leur histoire. Pour un investisseur, acheter une ‘sleeping beauty’, c’est acheter le droit d’utiliser une marque qui a une histoire dans l’objectif de la transformer en marque-héritage (heritage brand). Par comparaison à une marque qui a une histoire, une marque-héritage est une marque qui place son histoire au coeur de sa proposition de valeur. De par la richesse de leur histoire, les marques-héritage ont à leur disposition un univers riche à partir duquel les managers peuvent créer une proposition de valeurs différenciante, unique et difficilement imitable par les concurrents.
Dans la plupart des cas, les managers ne cherchent pas de recopier les produits du passé de telle sorte à proposer une offre néo-authentique mais à réinterpréter l’histoire de la marque. Ils transforment les éléments physiques et symboliques liées à l’histoire de la marque pour développer une proposition de valeur actuelle mais qui repose sur la richesse de son histoire. Si certaines ‘sleeping beauties’ ont gardé une aura importante comme c’est le cas de l’Orient-Express ou Courrèges, la plupart d’entre elles ont disparu du marché depuis tellement longtemps, qu’elles n’ont laissé aucune trace dans la mémoire des consommateurs. Qui connaissait Moynat avant sa relance ? Peut-être quelques antiquaires et collectionneurs de malles. La plupart de ces ‘sleeping beauties’ sont des marques oubliées. Toutefois, si ces marques ne sont pas nécessairement inscrites dans la mémoire individuelle des consommateurs, elles font parties de la mémoire collective. Elles sont inscrites dans une époque et une histoire. Même si les consommateurs ne connaissent pas la marque, ils connaissent le contexte historique dans lequel cette marque s’est développée. Dans ces conditions, les managers ne peuvent s’appuyer sur la nostalgie personnelle, à savoir les souvenirs personnels liés à la marque, mais plutôt sur une nostalgie partagée liée à des événements ou personnages historiques inscrits dans la mémoire collective.
Il est souvent plus facile de relancer une ‘sleeping beauty’ oubliée car cela laisse plus de marge de manoeuvre aux managers pour relancer la marque. Lorsque la marque a gardé une empreinte précise dans l’imaginaire individuel, les managers courent le risquent de mécontenter certains consommateurs qui ont une idée très précise de la marque et de l’offre. Que sera le prochain Orient-Express ? Comment les managers vont-ils réussir à proposer une offre qui permettra à chacun d’y retrouver ses représentations associées à l’Orient-Express ?

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Par Delphine Dion,
professeure associée au département Marketing de L’ESSEC Business School.